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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/553

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Tels étaient bien, en effet, le sens et la raison d’être de l’intervention du 23 avril : par la communauté de leur action diplomatique, ce que la Russie, la France et l’Allemagne ont voulu affirmer, c’est l’existence d’intérêts communs aux grands États qui constituent l’Europe continentale ; c’est un droit supérieur d’intervention et de contrôle dans tous les pays du globe ; c’est, pour tout dire, l’hégémonie universelle des peuples européens[1]. Les trois puissances ne se contentaient pas, en effet, d’assurer le libre exercice de leur commerce avec la Chine, d’en ouvrir les marchés et d’en garantir l’intégrité, mais elles proclamaient que rien ne peut être changé, sans la permission de l’Europe, dans l’état territorial de l’Asie et dans l’équilibre des mers orientales. Politique imprudente, a-t-on dit et redit-on volontiers aujourd’hui ; politique en réalité prévoyante et sage puisqu’elle consacrait, au profit du concert des grandes puissances européennes, un droit de haute surveillance sur les affaires d’Extrême-Orient, en même temps qu’elle sauvegardait tous les intérêts en s’attachant au principe de l’intégrité de l’Empire du Milieu, seul fondement possible, en 1895 aussi bien qu’en 1905, d’une pacification durable du monde jaune. Il arrive souvent que ceux qui écrivent sur l’histoire de cette époque confondent avec la politique d’intégrité, proclamée et pratiquée en 1895, les événemens qui en ont été, à la fin de 1897, la négation ; la politique d’intégrité de 1895 ne portait pas en elle-même, comme une conséquence fatale, la politique de spoliation de 1897 : bien au contraire, l’occupation violente de Kiao-tcheou par l’Allemagne et de Port-Arthur par la Russie, qui avaient participé à l’action diplomatique de 1895, n’est devenue possible que par un abandon néfaste des principes posés par les trois puissances comme la règle de leur conduite en Extrême-Orient. Cette déviation de la politique européenne est la source de tous les malheurs qui ont suivi : la révolte des Boxeurs et la guerre actuelle[2]. Sans doute, certains indices permettent de supposer que, dès 1895, le gouvernement allemand préméditait et préparait

  1. Il est toujours sous-entendu que l’on compte les Américains parmi les nations « européennes ; » s’ils ne le sont pas par la géographie, ils le sont par le sang et par la civilisation.
  2. Nous avons déjà, dans un précédent article : La Chine et les puissances européennes (1894-1904), dans la Revue du 1er août 1904, tenté de mettre en lumière l’enchaînement logique des causes et des effets dans ces déplorables événemens et d’établir les responsabilités.