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le coup de force qui devait, le 17 novembre 1897, planter son pavillon et établir ses soldats à Kiao-tcheou, au mépris du principe d’intégrité posé et défini par lui-même ; peut-être encore, à la lumière des événemens postérieurs, est-il permis de se demander si le comte Mouraviev, lorsqu’il se laissa entraîner à mettre la main sur ce même Port-Arthur dont la Russie avait, moins de trois ans auparavant, exigé du Japon la rétrocession, ne succombait pas à une tentation savamment préparée et machinée adroitement pour attirer la puissance moscovite, loin de la Baltique et des Balkans, vers cette Mandchourie et cette Chine où l’attendaient tant de pièges ; mais de ce que la politique d’intégrité fut abandonnée en 1897 et 1898, il ne s’ensuit pas, quels que soient les motifs de cet abandon, qu’elle ait été une faute en 1895 ; il s’ensuit encore moins qu’elle ne puisse redevenir, aujourd’hui, la meilleure sauvegarde du prestige et des intérêts européens et la garantie la plus efficace d’une pacification équitable.

L’échec de la politique d’intégrité a eu pour cause première l’abstention de la Grande-Bretagne lors de l’intervention de 1895. Dans la vie de l’Angleterre contemporaine, ces journées marquent un moment décisif : de la résolution que prendrait, à cet instant critique, le gouvernement anglais, allait dépendre tout le développement ultérieur de sa politique ; il s’agissait pour lui, soit de solidariser sa cause avec celle des puissances continentales pour imposer au monde la suprématie de l’Europe unie et faire triompher sa civilisation, soit au contraire de s’isoler, d’opposer ses intérêts particuliers à ceux du reste de l’Europe, de se confiner dans son « splendide isolement » pour n’en sortir enfin qu’en se jetant dans l’alliance du Japon. Le ministère, attiré du côté du Japon par les intérêts immédiats du commerce anglais et par une vieille animosité contre la Russie, eut-il néanmoins conscience des responsabilités qui pèseraient sur lui s’il abandonnait la cause européenne ? En tout cas, il hésita longtemps ; on put croire un instant qu’il allait adhérer à la politique des trois puissances et se joindre à elles pour affirmer leur commune volonté de régler d’un commun accord les difficultés qui surgissaient en Extrême-Orient. D’autres conseils l’emportèrent finalement ; l’Angleterre commença cette politique personnelle qui allait, en faisant d’elle, quelques années plus tard, l’alliée du Japon, contribuer pour une si large part à la guerre qui sévit sous nos yeux.