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le symbole. Le sentiment d’une supériorité native des Européens, d’un droit de domination universelle qui leur appartiendrait en vertu de la préexcellence de leur civilisation, de leurs sciences, de leurs arts, de leurs industries, se montre nettement dans toutes les imprudences et toutes les contradictions de leur politique en Extrême-Orient. Les Russes ne tenaient aucun compte du mécontentement du Japon et ne voulaient pas voir ses armemens. Port-Arthur était à peine fortifié ; on n’y creusait même pas un bassin de radoub, mais on prodiguait les millions pour le port commercial de Dalny. Une telle imprévoyance, qui nous paraît aujourd’hui inexplicable, est au contraire caractéristique des méthodes et des tendances de l’expansion européenne telle que nous la montre l’histoire du XIXe siècle : elle a été avant tout mercantile, elle a confondu volontiers le commerce avec la civilisation, elle a cru que l’introduction des machines perfectionnées et des procédés scientifiques était un bienfait assez précieux pour justifier une domination universelle. La ruine de la flotte russe du Pacifique, la prise de Port-Arthur et la défaite des armées de Kouropatkine ont été le résultat de ces illusions.


II

L’œuvre maîtresse du XIXe siècle est la conquête du monde par les nations européennes ; c’est là ce qui donne au siècle qui vient de finir son caractère particulier. Les conséquences commencent seulement à se développer. De la grande ruche en plein travail sont sortis, sans trêve ni relâche, les émigrans, les soldats, les commerçans, les ingénieurs, les colons ; ils ont fourmillé, entreprenans et laborieux, sur toute la surface du globe. Les conditions de la vie économique, de la vie sociale, de la vie politique, en ont été, partout, radicalement modifiées. Fortes de leurs capitaux, de leurs armées et de leurs flottes, fières des progrès de leurs sciences, de leurs inventions, de leurs industries, nos races blanches se sont persuadé de leur supériorité, de la nécessité et de l’éternité de leur domination ; enivrées de leurs triomphes, elles n’entrevoyaient ni un obstacle à leur expansion, ni un terme à leur prospérité. L’Afrique dépecée, ne parlait-on pas, naguère encore, d’un partage de la Chine ! À cette confiance en l’avenir, à cet optimisme sans réserves, a succédé sans