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exagérer en disant que ce double caractère a une place toujours moindre dans cette fête. Nos agriculteurs y prennent une part très modeste, soit quant à une coopération active, soit quant à l’enthousiasme… »

Ce fut sans doute pour apaiser ces plaintes que M. à Egli se résigna à souligner l’interprétation pieuse de la fête que Jules Mülhauser avait tâché de donner, en la précisant encore dans le chœur final :


Heureux enfans d’une heureuse patrie,
Assez de chants en l’honneur des faux dieux !
C’est l’Éternel que sous leur nom on prie,
C’est l’Éternel qui guida nos aïeux.


Cette tâche ingrate, imposée à un homme de talent par une dévotion trop ombrageuse, me rappelle un épisode connu de la guerre religieuse qui divise la France actuelle : pendant une période d’accalmie, quelques hommes politiques, qui dînaient dans le monde, reconnurent entre la poire et le fromage qu’il deviendrait peut-être expédient de réintroduire Dieu dans l’école ; mais en même temps, ils constatèrent qu’on ne l’y pouvait admettre que sous un pseudonyme. L’explication de M. Egli ne satisfit personne : d’aucuns même, dit-on, trouvèrent plus irrespectueux encore de donner à l’Eternel le pseudonyme de Bacchus, que de le laisser en dehors d’une fête qui n’a en vérité aucun caractère religieux.

Son caractère patriotique, en revanche, éclata avec une singulière grandeur en cette année 1889 où la Suisse traversait une crise assez sérieuse. L’arrestation d’un policier allemand, Wohlgemuth, qui manœuvrait indûment sur le territoire helvétique, venait de provoquer une série d’incidens diplomatiques entre le gouvernement fédéral et l’empire d’Allemagne. Les articles menaçans se succédaient dans l’organe officiel du prince de Bismarck ; des notes s’échangeaient entre Berne et Berlin, sans aboutir encore à aucune solution, et l’inquiétude que donnait ce périlleux dialogue étreignait tous les cœurs. Le révérendissime abbé était alors M. Paul Cérésole : un des orateurs et des hommes d’Etat qui ont le plus honoré la Suisse française, un de ceux aussi que leur expérience des grandes affaires pouvait le mieux aider à comprendre le vrai sens de celle-là. Le beau discours qu’il adressa aux vignerons récompensés, et dont sa puissante