Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/671

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de toutes nuances, — de minuscules comme des banxias, d’énormes comme des pivoines, de carminées, de roses pâles, de blanches à peine teintées de veinules purpurines. Mais toutes avaient la finesse, la transparence de la gaze, la fragilité, le papillonnement de la neige. Ces fleurs qui semblent faites pour être gaspillées, écrasées, foulées aux pieds dans des fêtes, ou dans des orgies, il faut les voir, comme ici, en buissons exubérans et monstrueux, en jonchées, en amoncellemens de gerbes. On comprend que la rose est, par excellence, la fleur de la volupté, l’emblème cher à Vénus. Ce mois de mai qui lui est consacré est aussi le mois des roses. Or je me souviens que Cherchell dut être, au temps de sa gloire, très dévote à Vénus, si l’on en juge par le nombre des statues de la déesse qu’on a retrouvées dans ses ruines. La ville africaine avait voulu faire honneur à sa patronne. Elle s’était tellement parée de roses que sa ceinture en éclatait et que tout l’air en était embaumé autour d’elle !…

Nous allions ainsi, parmi, les fleurs printanières et les lueurs épanouies du couchant. La glace unie de la mer réfléchissait les couleurs du ciel avec une insolite magnificence. La mer était adorable en cette minute. Nul tissu fabuleux n’égale la richesse et le resplendissement des voiles dont elle illuminait les brumes légères de l’espace. C’était une étoffe de rêve, une vaste moire miraculeuse, qui eût emprunté aux pierres et aux métaux les plus rares leurs scintillations et leurs transparences, et qui eût pris à toutes les aubes et à tous les levers de lune l’enchantement de leurs clartés les plus irréelles. Sur le bord, elle avait le luisant et les phosphorescences de la nacre. Au large frissonnait une nappe diffuse, d’un mauve indéfinissable, où se mêlaient le gris tendre des perles et le bleu spectral des lampes électriques au moment où elles s’allument ; et, parmi ces apparences liquides et chatoyantes, tournoyaient des volutes de soie blanche qui s’embrasaient de lueurs orangées et qui, vers la zone enflammée de l’horizon, se perdaient dans une rougeur de brasier mourant.

Et tout cela s’apaisait au sein d’un grand lac de clarté, surpassant, par les jeux innombrables de ses colorations, les éclairages fantastiques des fontaines lumineuses. Sous le réseau des couleurs, on sentait la présence d’un élément mobile, multiforme et insaisissable. C’était l’hymen chimérique de l’eau et du feu, — on ne sait quoi d’éclatant, de délectable et de musical