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qu’assez rarement. C’est avant tout un lieu de conversation, de paresse et de repos, un endroit frais et ombragé pour la fumerie ou le rêve. On y fait la sieste, on y dort, on y accomplit même ses dévotions. L’indigène, une fois accroupi sur ses talons, empaqueté dans son burnous, se considère là comme chez lui. Immobile et taciturne, il regarde couler les heures avec indifférence et béatitude.

Le café, où je suis entré, a été aménagé tant bien que mal au rez-de-chaussée d’une maison bâtie à l’européenne. C’est une grande salle nue, badigeonnée de chaux, et dont le sol inégal n’a même pas été recouvert de terre battue. Il n’y a d’africain dans la disposition de la pièce que la haute cheminée lambrissée de faïences émaillées, ou le kaouadji[1] surveille ses petites burettes de fer-blanc. Des bancs de bois assez larges circulent tout le long des plinthes. L’unique ornement est une boîte à horloge monumentale, toute peinturlurée de fleurs rouges et jaunes, telle qu’on en rencontre encore dans les cuisines de nos fermes. Au milieu, sur une table à trois pieds, une botte de roses trempe dans une grosse cruche de cuivre qui sert à porter l’eau.

La salle est à peu près vide. Quelques individus sommeillent, allongés sur les bancs. Je gagne la cour contiguë, dont l’éclairage un peu cru fait paraître plus sombres les demi-ténèbres où est plongé le café. Une lampe à pétrole est suspendue au treillage qui s’étend d’un mur à l’autre, en manière de plafond et qui est complètement tapissé par des lianes violettes de bougainvilliers. C’est un véritable berceau de verdure, où règne un peu de fraîcheur, grâce à la fontaine encastrée dans le mur et dont la vasque est pleine jusqu’au bord.

Je m’assieds à l’écart, sur une natte, et, après avoir commandé ma tasse au kaouadji, je regarde autour de moi… La cour n’est guère plus animée que la salle. Deux hommes assis sur leurs talons jouent gravement aux échecs. Un nègre, accroupi à côté d’eux, leur jette de temps en temps un regard distrait, en dilatant les gros globes laiteux de ses prunelles. Enfin j’ai pour Unique voisin un grand vieillard maigre qui a l’air comme effondré dans les plis d’un burnous immaculé. Une barbe de patriarche allonge encore son long visage osseux et émacié, plus pâle que les mousselines de son turban. D’un doigt soigneux, il

  1. Kaouadji, cafetier.