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l’architrave, les palmettes dorées des acrotères réfléchissaient, en bouquets de rayons, les feux des soleils marins.


Pour fixer tranquillement la radieuse image et pour embrasser tout le champ des ruines, je m’assieds au coin de la place, à la devanture d’un cabaret. A la table voisine de la mienne, deux hommes, deux Européens, causent, tout en dégustant leur absinthe. Je contemple les ruines et j’écoute vaguement ce qui se dit. L’un des hommes, courtaud et trapu, le teint basané, les cheveux crépus comme un Africain, ne peut être qu’un Provençal, puisqu’il s’appelle Claudius. L’autre, qui se nomme Livio, est sûrement un Italien. Le premier est un postillon, le second, un maréchal ferrant. Celui-ci, d’un blond châtain, a le cou rose comme une fille, — et l’ovale parfait de son visage est d’une pureté toute raphaëlesque. Le tablier de cuir retroussé sur ses genoux forme un contraste un peu rude avec sa physionomie presque féminine. Soudain, un adolescent, vêtu d’une gandoura bleue, débouche d’une ruelle voisine et, s’arrêtant à quelque distance du trottoir, il se met à crier d’une voix gutturale :

— Livio !… Ho ! Livio !…

Le maréchal tourne la tête.

— Livio !… Viens tout de suite ! crie l’Arabe, ta femme t’appelle !

Le jeune époux se lève immédiatement. Une flamme illumine son regard, un sourire glisse sur ses lèvres…

— Reste encore ! dit le postillon, — tu n’es pas si pressé !

— Non, non ! Ma femme m’attend !…

— Allons ! adieu, Livio !

— Adieu, Claudius !

Les deux hommes se touchent la main, mais le maréchal n’a pas tourné les talons, que le postillon, qui se carre dans l’azur de sa blouse, lui crie, en le menaçant du doigt :

— Ah ! birbante ! tu n’as ta fantaisie qu’après l’amour !…

Les vagues paroles de cette naïve conversation traversent ma songerie… Livio ! Claudius ! Les sonorités latines de ces noms tintent mélodieusement à mes oreilles. Le visage enivré du jeune homme qui court « après l’amour, » de ce maréchal ferrant beau comme un apôtre de Raphaël, emplit encore ma pensée, tandis que mes yeux se reposent sur les fleurs et les tiges d’acanthes