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mais un désert qui n’a rien de sauvage ni de méchant. Cette mer est toujours celle où naquit Aphrodite et où chantaient des Sirènes. Il lui faudrait, pour égayer sa solitude, des escadrilles de trirèmes grecques ou latines, ou encore ces magnifiques galères du temps de Charles-Quint, de Philippe il et de Louis XIV, qui portaient sculptées à l’arête de leurs carènes des figures de divinités ou de nymphes marines et qui s’appelaient Aréthuse, Amphitrite, ou Cymodocée

Je songe aux flottes conduites par Duquesne et Beau fort qui se rangèrent, ici même, en front de bataille, pour bombarder le nid de corsaires qu’était alors Cherchell. Je vois les beaux navires élevés sur la mer comme des palais de Venise, je distingue les trois rangs de rames, le château-gaillard étincelant de dorures sous l’étendard fleurdelysé qui claque à son sommet, et, par-dessus l’image symbolique de la proue, taillée dans Marseille ou Toulon, par quelque Puget, par-dessus le frêle balcon de l’avant, les deux énormes lanternes de fer, fleuronnées et dorées, que surmonte la couronne royale et où brûlent, durant les nuits du large, des chandelles de cire hautes comme des hampes de pertuisane et pesantes comme des cierges de Pâques !

Toute cette pompe repasse et se dissipe sur les eaux tumultueuses que flagelle le mistral. Le flot s’écrase en grondant contre les cubes de pierre de la jetée. Mes oreilles bourdonnent au fracas de la rafale, ma poitrine se dilate sous la violence du grand souffle salé, — et je regarde la pauvre barque de pécheur, dernier souvenir des flottes de Césarée, pencher son mât, en franchissant la passe, et s’engloutir un instant entre les crêtes des lames…

Le soir, je parcours les ruines disséminées à l’intérieur de l’enceinte romaine.

Les premières qui s’offrent, en sortant des portes de Cherchell et en traversant le Champ-de-Mars actuel, — ce sont celles de grands thermes publics, que les archéologues appellent les Thermes de l’Est. Les vestiges de deux autres subsistent encore : je compte m’y arrêter tout à l’heure. Ces thermes sont vastes et vraiment dignes d’une capitale. Mais ce ne sont pas les seuls, vraisemblablement, que possédât Césarée.