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de l’ancien régime et ferait rétrograder la France. Selon Garnier-Pagès, il ne fallait ni soldats, ni matériel ; la levée en masse suffisait à tout : « Lorsque nous avons fait la levée en masse, disait-il, nous avons vaincu la Prusse et nous sommes allés à Berlin ; lorsque les Prussiens ont fait la levée en masse, ils sont venus à Paris. » Jules Simon se défendit de vouloir un abandon de toute force armée, quelque chose qui ressemblât aux levées en masse ou à la simple garde nationale : « Je sais bien qu’il y a des esprits résolus qui proposent de se placer dans cette situation : « Donnez l’exemple du désarmement et attendez ! » et qui comptent sur un désarmement général. C’est là une audace qui m’inspire une admiration cordiale, mais je ne me sens pas le courage de l’imiter. L’histoire contemporaine ne m’a laissé aucune illusion sur la magnanimité des peuples. Au moment où je déclare qu’il est temps de détruire les armées permanentes, je propose en même temps un système qui doit rendre la France invincible. » Ce système était le système suisse. L’instruction militaire donnée aux enfans, de telle sorte qu’au moment de leur enrôlement, les jeunes gens auraient déjà reçu une instruction, qu’ils compléteraient pendant treize mois passés sous le drapeau dans leur première année de service et par des exercices gradués dans les périodes suivantes. On arriverait ainsi à avoir de meilleurs tireurs et des hommes plus aguerris qu’avec le dur système de cinq ans de service actif ; on obtiendrait une armée de deux millions d’hommes. On aurait donc une armée, mais une armée de citoyens et de soldats, invincible au dedans, et incapable de faire la guerre au dehors ; une armée sans esprit militaire… » On l’interrompt alors : « Il n’y a pas d’armée sans. esprit militaire ! » — « Eh bien ! riposte Jules Simon, s’il en est ainsi, je demande que nous ayons une armée qui n’en soit pas une ! »

Il serait peu instructif de reprendre tous les raisonnemens plus ou moins extraordinaires par lesquels les députés de la gauche justifièrent leur opposition. Il en est un cependant à retenir qui projette une sinistre clarté sur les événemens postérieurs : c’est que, pour la liberté d’un peuple, la défaite vaut mieux que la victoire. Garnier-Pagès, lors de la discussion du budget, avait déployé tout au long cette turpitude anti-patriotique en se couvrant, pour n’être pas hué, du masque d’un prétendu homme d’État très haut placé en Allemagne : « Toutes les fois,