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faisait-il dire à cet interlocuteur, qu’un gouvernement s’enivre des victoires qu’il remporte, il devient plus absolu, il veut commander en maître souverain ; s’il éprouve une défaite, c’est le contraire qui a lieu ; alors il sent qu’il a le besoin de chercher une racine plus profonde dans le cœur de la nation. » Un interrupteur s’étant écrié : « Il n’en est pas ainsi en France ! » Garnier-Pagès reprit : « Je reconnais qu’en France, après la bataille de Solferino, il y a eu une amnistie et le décret du 24 novembre. Mais mon interlocuteur allemand répondit en souriant : Vous avez eu cela, oui ; mais si vous aviez perdu la bataille de Solferino, si vous aviez été vaincus, vous auriez eu la liberté tout entière. Cela est vrai ; et le retour de l’île d’Elbe et la défaite de Waterloo nous disent ce qui peut arriver à un gouvernement le lendemain d’une défaite. » Rouher releva éloquemment cette idée abominable : « Non, la victoire ne conduit pas au despotisme. La victoire qui sauve une nation et qui consacre l’indépendance d’un peuple ne peut exercer partout qu’une noble et féconde influence. La victoire alors, c’est le chemin de la liberté, ce n’est pas le chemin du despotisme. »

Jules Simon, néanmoins, reprit la thèse impie, sans y mettre d’abord trop de précautions. « Après Sadowa, je suis allé sur les lieux étudier les causes morales de la victoire, et en voici une que je vous apporte, c’est qu’il y avait, dans certaines parties de l’armée autrichienne, comme un sentiment inconscient de l’utilité pour elle d’être vaincue. (Réclamations et rumeurs.) Quand je leur ai dit : « Vous paraissez vous plaindre de n’avoir pas été assez battus à Sadowa, » il y en a qui m’ont répondu : « Oui. » — Les rumeurs devinrent telles, que l’orateur comprit qu’il lui fallait s’aider d’une de ces précautions oratoires par lesquelles on se défend d’avoir une opinion afin de la mieux insinuer, et il reprit : « Vous me direz que ce sentiment est inintelligible pour un Français ; oui, certes. Mais ceux dont je par le voyaient d’un côté une patrie autrichienne et de l’autre la patrie allemande ; ici, la maison de Habsbourg, là, les espérances de la liberté. » Par un sous-entendu savant, il applique la théorie à la France à laquelle il vient de se défendre d’avoir songé : « Ne le niez pas ; ce qui a fait la force de l’armée française autrefois, et sa plus grande puissance, c’est la cause sacrée qu’elle avait à défendre, une cause qui était un objet d’envie pour ceux qui se battaient contre nous, et pour nous la source puissante et