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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/827

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suffoqué, et parfois faisait éclater avec force la « trompette du désespoir. » Une partie de la nuit se passa ainsi jusqu’au moment où le duc de Beauvilliers s’avisa « qu’il étoit temps de délivrer les jeunes princes d’un si fâcheux public et proposa que chacun se retirât dans son appartement. » En gagnant le sien, la Duchesse de Bourgogne eut un court entretien avec une de ses dames, Mme de Lévis, la fille du duc de Chevreuse. Mme de Lévis lui dit « que n’ayant pas lieu d’être affligée, il seroit horrible de lui voir jouer la comédie. Elle répondit bien naturellement que, sans comédie, la pitié et le spectacle la touchoient et la bienséance la contenoit et rien de plus. » Après ces courtes paroles, qui exprimaient avec dignité et sincérité ses véritables sentimens, elle rentra dans son appartement où elle reposa paisiblement jusqu’au matin.

Différente fut l’attitude du Duc de Bourgogne. Au premier moment, l’impression qui domina chez lui fut celle de la stupeur. D’un coup d’œil, il dut mesurer à quel point cette mort imprévue le grandissait en situation, mais aussi de quelles responsabilités elle Fallait charger, et chez cette nature scrupuleuse, consciencieuse avant tout, mais un peu indécise, l’effroi dut l’emporter sur tout autre sentiment. Au moment où la nouvelle venait d’arriver, Saint-Simon l’aperçut à travers la porte ouverte du petit cabinet ; le coup d’œil qu’il asséna sur lui ne lui rendit « rien de tendre, mais seulement l’occupation profonde d’un esprit saisi. » Saint-Simon le revit de plus près dans la grande galerie « pleurant d’attendrissement et de bonne foi des larmes de nature, de religion, de patience. » Mais l’impression du saisissement était encore celle qui dominait, et Madame nous le représente « bouleversé, pâle comme la mort et ne disant pas un mot[1]. » L’émotion ressentie par lui avait été si grande que sa santé en souffrit, et qu’il fut indisposé pendant quelques jours. Peu à peu cependant, il reprit possession de lui-même. Nous trouvons l’expression des sentimens par lesquels il passa successivement dans ses lettres à son frère Philippe V. La veille même du jour où Monseigneur devait succomber, il lui écrivait : « Vous serez sans doute dans une extrême inquiétude, mon très cher frère, en recevant cette lettre, mais j’espère qu’alors nous en serons déjà délivrés, » el, après quelques détails sur le cours suivi par

  1. Édition Jæglé, t. II, p. 145.