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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/851

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Notre heureuse flânerie continue sous les chênes trapus maintes fois séculaires, étirant leurs membres énormes, chargés d’un lourd fardeau de feuillage, au-dessus des routes silencieuses. Devant nous les barrières s’ouvrent avec cette hospitalité qui permet de passer d’une propriété particulière dans une autre. On la voudrait moins habitée par les hommes cette forêt digne de servir de théâtre au Songe d’une nuit d’été ; il y a un peu trop de cottages, si fleuris qu’ils soient ; ce n’est en somme qu’un très grand parc, d’une moindre étendue que notre forêt de Fontainebleau et beaucoup moins accidenté, mais les arbres gigantesques sont en plus grand nombre ; le climat d’Angleterre est apparemment favorable à leur longévité.

Il y en a d’extraordinairement beaux sur les terres de lady S… qui a quitté, jadis, l’un des grands noms de France, pour un nom de la meilleure noblesse anglaise. Je lui rends visite dans la vaste habitation classique à péristyle et à colonnes, où elle tient ses états presque toute l’année ; et je la retrouve, en dépit du temps écoulé, avec les traces encore visibles de la beauté que j’avais admirée à Paris. Des amis venus d’un château de la Loire, entourent son fauteuil ; j’ai grand plaisir à entendre rappeler dans notre langue commune des souvenirs de chez nous, à reconnaître le goût français dans l’ameublement de ce salon. Un charmant portrait de femme par Gérard semble se mêler à la conversation où domine une note de rancune violente contre tels hommes, tels événemens qui compromettent la France aux yeux de l’étranger. Cette rancune n’est que l’envers du grand amour qui subsiste pour le sol natal chez cette transplantée, si enviable qu’ait pu être la part que la destinée lui a faite dans sa nouvelle patrie.

Le parc-forêt n’est pas le seul trait caractéristique d’Ascot ; il y a aussi le bog, le marais ou plutôt la lande en fleur ressortant rose et violacée sur le noir d’un rideau de pins. Le bog porte à courte distance l’une de l’autre les deux églises protestante et catholique ; la seconde se rattache à un couvent de Franciscains. J’y rencontre une congrégation peu nombreuse ; le hasard m’a placée auprès du bibliothécaire du village, ancien zouave pontifical qui administre un legs de livres et de journaux dont tout le monde profite. L’assistance me paraît, comme il arrive souvent en Angleterre dans les églises catholiques, de condition modeste ; cependant une personne haut placée y figure ; celle