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qu’on n’appelle que la Rani, comme s’il n’existait qu’une Rani au monde. N’allez pas croire, comme je le fis, à une princesse indienne ; il s’agit de la fille d’un voyageur célèbre mariée à un rajah, lui-même de race anglaise ; l’éducation de ses enfans lui a fait quitter Bornéo.

L’un des cottages du bog abrite, sous les roses, la personnalité intéressante d’une ancienne dame d’honneur de la reine Victoria, femme de goût et d’esprit, beaucoup plus indépendante en ses idées que ne le sont d’ordinaire les gens de cour. Sa conversation abonde en saillies et en paradoxes qu’on aimerait à noter. Elle connaît à fond la littérature française et témoigne une indulgence singulière à nos romans les plus hardis, pourvu qu’ils ne traitent pas de ce vieux sujet rebattu et de mauvais ton, l’adultère. Tout le reste la trouve clémente, à la condition qu’il y ait du talent, mais sur ce chapitre elle ne transige pas : le second best, la seconde qualité qu’on fait trop souvent passer pour la première, encourt ses mépris. Le socialisme ne l’effraye guère ; elle n’a aucune peur surtout des socialistes du grand monde. Elle dit à l’un de ses amis qui affecte d’être dans ce mouvement : — Très bien, faites des serrures si vous pouvez ! — Les mots tombent de sa bouche, amusans ou dédaigneux, frappant juste. Elle devait tenir à sa souveraine très agréable compagnie et ne pouvait dans un palais avoir plus grand air qu’elle ne l’a dans son cottage ou plutôt devant son cottage, sur la pelouse, jonchée de tapis où des parasols d : étoffe japonaise abritent tout un établissement pour écrire, pour travailler, — pour causer, cela va sans dire.

Ascot sert de cadre en somme à des figures que je n’oublierai pas plus que le paysage même sur lequel, chacune avec ses qualités propres, elles ressortent quand les évêque ma pensée. Groupe de ladies dans toute la force du terme, arrivées à ce moment de la vie où il faut pour continuer à plaire autre chose que de la beauté et accomplissant sans effort cet exploit difficile. M. Taine, dans ses Notes sur l’Angleterre où chaque observation est juste, a rendu hommage à la distinction sereine des Anglaises de cet âge et de cette condition ; il a même constaté qu’elles s’habillaient admirablement, sans souci exagéré de la mode, ce qui est vrai aujourd’hui encore L’une de ces dames est parente du colonel Younghusband dont l’entrée triomphale à Lhassa vient d’assurer un si grand succès en Asie à la politique anglaise.