Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/858

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

romancière qui, de son côté, a bien mérité de la France par l’amour si intelligent qu’elle lui porte. Plusieurs des livres de Miss Betham Edwards sont faits pour expliquer l’une à l’autre deux voisines qui se connaissent trop peu. Elle a tout vu de notre pays, l’Algérie comprise, et ses jugemens sont d’une amie ; non qu’elle nous flatte cependant : elle fait mieux, elle nous rend sympathiques en disant la vérité.

Dans ses récits d’excursions à travers nos provinces, elle a signalé des beautés auxquelles avant elle on n’avait guère pensé, par exemple les Gausses du Tarn, que sa plume contribua jadis à mettre à la mode. Le joli voyage en zigzag, A l’Est de Paris, est consacré aux aspects modestes d’une région qui ne s’impose pas comme bien d’autres à l’attention des touristes. La voici, Ursule Mirouet en poche, qui se promène d’un petit village à l’autre sur la lisière de la forêt de Fontainebleau ; ses croquis de paysans sont plus justes que ceux de beaucoup d’observateurs français ; elle enregistre les détails de la plus humble vie ; elle dit ce qu’elle voit, ce qu’elle entend. Libre penseuse et républicaine (par sa mère, elle descend d’une famille française huguenote), ni les châteaux, ni les cathédrales ne l’attirent beaucoup ; ses yeux pénétrans se fixent plutôt, en Nivernais, en Bourbonnais, en Bourgogne, sur la petite bourgeoisie, ce qui lui a permis de ne pas tomber dans les redites et les banalités. À Reims, elle vit jouer une pièce tirée du roman historique qu’après une visite à Arcis-sur-Aube elle avait écrit sur Danton ; jamais auteur dramatique ne se critiqua soi-même avec autant de bonne humeur ; à Reims encore elle assiste à la réception de l’empereur de Russie, partageant les sentimens de la France en vraie Française, si peu favorable qu’elle soit à l’autocratie ; c’est là peut-être ce qui ajoute au piquant des impressions de Miss Edwards, la lutte partout visible entre sa bienveillance pour nous et ses préjugés d’hérétique, de radicale, de puritaine. Elle s’éprend au passage d’un curé de campagne, elle voudrait qu’il fût assez bien rétribué pour pouvoir comme les clergymen faire son petit voyage annuel en Suisse ou en Norvège, et n’est-ce pas une honte que les juges de paix, des hommes bien élevés très souvent, — elle en a connu un qui lisait Shakspeare, — touchent un si misérable traitement ? Invitée à des noces de village, elle s’écrie : « Quel bel héritage national que cette sociabilité joyeuse ! » Insensiblement entraînée de Franche-Comté en Lorraine, elle