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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/860

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tout. Les fruits coûtent, sur le sol qui les produit, le double de ce qu’on en demande dans le pays où ils sont exportés. A Paris, le prix du fromage, du beurre, de la viande, du café, du thé, des pâtisseries paraît exorbitant aux Anglais, qui payent leur sucre six ou même quatre sous la livre, selon la qualité[1], cinq sous la demi-douzaine de boîtes d’allumettes étrangères, quatre sous la pinte de lait non écrémé. Le prix de nos drogues serait, dans leurs pharmacies, réduit de moitié. Les petits restaurans du Strand donnent pour un shilling un tiers de plus de nourriture qu’au boulevard les mêmes restaurans à 1 fr. 50. On se chauffe aussi à meilleur compte. Les petits feux de France, le froid qu’il fait dans nos appartemens, sont passés presque en proverbe.

Le capital ne circule point en France comme en Angleterre ; c’est là une vertu et une faiblesse à la fois ; la plus large aisance ne nous préserve pas du culte de l’épargne ; pour nos ménagères, une économie bien déguisée est le suprême talent ; pour la maîtresse de maison anglaise une large hospitalité est le premier devoir. Les Anglais de la classe moyenne nous accusent de manquer singulièrement à ce devoir ; et il est certain que leur manière de tenir, d’un bout de l’année à l’autre, table et maison ouvertes, semble à beaucoup d’entre nous de la prodigalité. Résultat inévitable de la différence du goût français qui porte chacun à s’enfermer dans sa chacunière, de la facilité passablement égoïste que nous avons de nous suffire à nous-mêmes ; tandis que l’Anglais se répand volontiers au dehors, cherche la distraction que lui apportent les nouveaux visages, les idées nouvelles, et trouve dans la société des étrangers une partie du plaisir qu’il aurait à voyager, le plaisir de l’exploration. Son esprit a moins d’élasticité, moins de légèreté, moins de ressources variées que le nôtre. Il se laisse amuser et réclame l’excitement, pour lequel nous n’avons pas de mot. Notons que l’éducation des enfans contribue à ces différences. Tout en France est subordonné aux enfans ; il n’est question que d’eux ; les parens ne vivent que pour eux. En Angleterre où tous les mariages sont supposés être des mariages d’amour, le mari et la femme vivent l’un pour l’autre ; les enfans, presque toujours plus nombreux, dans la nursery sont confiés à des bonnes ou

  1. La pound est un peu inférieure à la livre ; notre kilogramme contient deux -livres anglaises, plus trois onces.