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à penser à la comtesse de Boufflers ; je me demandais ce qui faisait qu’avec beaucoup d’esprit, de grâces et d’agrémens, elle faisait en général aussi peu d’effet, et surtout aussi peu d’impression ; je crois en avoir trouvé la raison. Ne convenez-vous pas qu’il y a dans tout un vrai de convention ? Il y a le vrai de la peinture, le vrai du spectacle, le vrai du sentiment, le vrai de la conversation. Eh bien ! Mme de Boufflers n’a le vrai de rien, et cela explique comment elle a passé sa vie sans toucher ni intéresser même les gens à qui elle a le plus d’envie de plaire. » Il serait facile de citer bien d’autres extraits du même genre. Pourquoi donc cette aigreur et cette évidente malveillance à l’égard d’une amie dont la fidélité ne s’est à aucun moment démentie ? L’explication n’est pas difficile à trouver : c’est qu’avec ses quarante-huit ans sonnés, la comtesse a fait à Guibert quelques avances de coquetterie, auxquelles, nous le verrons plus tard, celui-ci a paru n’être pas insensible. Voilà le crime impardonnable qui, aux yeux d’une femme passionnée, efface tout un passé d’affection et de dévouement.


Même nuance de froideur et d’ombrage, — moins accentuée peut-être, moins justifiée surtout, — dans ses rapports avec une autre femme de son intimité, aussi célèbre de son temps que Mme de Boufflers, mais plus oubliée de nos jours, et dont, pour cette raison, il me sera permis d’esquisser la figure. Je veux parler de Mme de Marchais[1], dont le salon, au dire de Marmontel, se composait de « tout ce que la Cour avait de plus aimable et de ce qu’il y avait, parmi les gens de lettres, de plus estimable du côté des mœurs, de plus distingué du côté des talens. » Pour présider à ces assises, imaginons[2]une mignonne créature « de quatre pieds de haut, » mais « faite au tour » et proportionnée à ravir, avec des traits peu réguliers, des cheveux merveilleux, des yeux pétillans de malice, des dents « qui paraissaient beaucoup, mais qui étaient superbes, » une mise tant soit peu excentrique, d’énormes panaches sur la tête, et, tout autour de sa personne, « plus de guirlandes de fleurs naturelles que toutes les figurantes de l’Opéra, » bref, un curieux mélange

  1. Fille de Benjamin de La Borde, fermier général, lequel n’a d’autre rapport qu’une ressemblance de nom avec Joseph de Laborde, banquier du Roi, son contemporain, avec qui on le confond parfois.
  2. Mémoires de Marmontel, de Garat, du duc de Lévis. Lettres de Walpole, etc.