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témoignage. » (Vives marques d’approbation et applaudissemens. L’orateur en retournant à son banc est entouré et félicité par ses collègues.) L’émotion causée par ce discours avait été profonde parce qu’il exprimait la pensée intime de la grande majorité.

Deux ministres délégués ad hoc soutinrent leur projet de loi. Pinard le fit en jurisconsulte, présenta un exposé d’une ample sérénité et une vigoureuse réfutation des critiques. « J’ai le droit de dire que cette loi est libérale dans son principe, humaine dans sa pénalité, équitable dans sa juridiction, vigilante dans sa procédure. Nous ne redoutons pas l’opposition qui n’est ni radicale ni systématique, mais, pour ces attaques violentes qui jettent le discrédit sur le pouvoir et le déshonneur dans les familles, il faut que la loi soit sévère, et nous disons au grand parti conservateur : Tenez ferme, nous sommes derrière vous pour vous soutenir. (Très bien ! très bien !) Les pouvoirs qui reculent sont aussi coupables que les citoyens qui se révoltent. » (Vives marques d’approbation et applaudissemens.) Baroche discuta plutôt en homme politique. Il refit à Jules Favre la réplique qu’il lui avait faite maintes fois. Il fut moins à son aise vis-à-vis de Cassagnac dont, au fond, il partageait les appréhensions ; il le réfuta mollement, puis finit par dire : « Après avoir examiné, médité, pondéré le projet qui vous est soumis, si vous le trouvez bon, votez-le ; si vous croyez devoir l’améliorer, proposez des amendemens, nous vous suivrons, et soyez sûrs que votre voix, quelle que soit la décision qu’elle prononce, sera respectée de tous et sera certainement la loi du pays. » (Applaudissemens.) C’était dire en termes transparens : Nous ne tenons pas à la loi plus que vous, prenez-en à votre aise avec elle ; si vous la repoussez, nous n’en serons pas fâchés.


II

Les prédictions alarmistes de Cassagnac, que Jules Favre avait justifiées par la violence de ses attaques, avaient produit un véritable bouleversement dans l’esprit hésitant de la majorité. « Il a raison, disait-on au milieu de groupes très animés ; on ne peut pas voter cette détestable loi ; repoussons-la. — La repousser, disaient d’autres, nous est impossible, bien qu’elle soit détestable, car il ne faut pas que le gouvernement fasse de la popularité