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à tout ce qu’il a touché la sûreté de la science, l’entraînement de la vie et la poésie de l’imagination.


VI

Il ne peut entrer dans mon plan d’exposer en détail sa doctrine philosophique ; je n’en indiquerai que les sommets. Chaque philosophe supérieur, dans le vaste domaine de sa pensée a son Centre, sa Droite, sa Gauche, et, en allant de l’un à l’autre, il reste encore chez lui. Cousin était à sa Gauche dans ses leçons enflammées de 1828 ; il était passé à sa Droite quand il négociait avec Rome les tolérances de l’Index[1]. C’est à son Centre qu’il faut le prendre, après les exagérations et avant les repentirs.

Là on trouve une première idée maîtresse : la philosophie doit être laïque, séculière, indépendante, ne relevant que de la raison. La raison est cette faculté de connaître, révélation intime et permanente de Dieu dont est illuminé tout homme venant en ce monde. Elle est impersonnelle, parce qu’elle n’est dans chaque individu qu’un fragment de la raison universelle, constante, éternelle, la même dans tous les pays et dans tous les temps. Chez tous les êtres qui ne se sont pas dépouillés de la nature humaine et qui ne l’ont pas abolie en eux par la dégradation du vice, elle se manifeste avec une égale autorité, soit par voie d’intuition spontanée, soit par voie de réflexion appliquée, sans interprètes ni commentateurs[2]. Fait-on de la philosophie la servante d’un dogme, elle n’a aucun caractère d’universalité, car différens dogmes se partagent la créance des hommes ; ne relevant que de la raison universelle, elle peut aspirer à formuler les grandes vérités naturelles indépendantes de tous les cultes qui s’élèvent au-dessus de la nuit de nos disputes et brillent dans une région plus haute, comme le phare toujours allumé de l’esprit humain. Elle n’a besoin d’aucun dogme pour constituer une morale et une société. Spontanée ou réfléchie, elle contient en elle les principes nécessaires, qui ont l’évidence fatale des axiomes. De ces

  1. Voyez Empire libéral.
  2. Cette théorie de la raison impersonnelle et universelle remonte aux Stoïciens et à Cicéron. Elle diffère essentiellement de celle de Lamennais malgré l’identité de terminologie. La raison de Cousin n’est universelle que parce qu’elle est en chacun la participation à la raison divine. La raison universelle de Lamennais n’est que l’addition des raisons individuelles dépourvues isolément de toute valeur et à laquelle cette addition en donne une décisive en créant la certitude.