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lois nécessaires elle tire la notion et les règles de la justice, la distinction du bien et du mal, du devoir, de la liberté et de la responsabilité pénale qui sanctionne la violation du devoir et le mauvais usage de la liberté : elle suffit à l’édification d’un État.

Quand un personnage illustre était appelé au Forum devant la justice du peuple, il se présentait suivi de ses cliens et il disait au juge en les montrant : « Qu’ils témoignent du bien que j’ai fait ! » Chaque fois que ses détracteurs l’appellent au forum du genre humain, la raison peut, elle aussi, se présenter avec ses cliens et dire à ses juges par la voix des Anaxagore, des Socrate, des Platon, des Aristote, des Cicéron, des Epictète, des Marc-Aurèle : « Qui donc, avant la venue de Jésus-Christ, a enseigné aux hommes qu’ils possèdent une âme, une âme libre, capable de faire le mal et capable aussi de faire le bien, à laquelle est préparée une destinée immortelle ? De qui ont-ils reçu ces nobles principes qu’il est plus beau de garder la foi donnée que de la trahir ? qu’il y a de la dignité à maîtriser ses passions, à demeurer tempérant, même au sein des plaisirs permis ? Qui leur a prêché l’oubli des injures et cette tolérance généreuse qui nous engage à pardonner aux autres ce que nous voulons qu’on nous pardonne à nous-même ? Qui leur a appris ces grandes paroles : Un ami est un autre soi-même ; il faut aimer ses amis plus que soi ; il faut aimer sa patrie plus que ses amis, l’humanité plus que sa patrie ? Qui leur a révélé les vérités certaines et nécessaires sur lesquelles reposent la vie et la société, toutes les vertus privées et publiques ? Qui ? si ce n’est moi ! » Par la voix de Bossuet elle dit : « J’ai fondé le grand empire qui a englouti tous les empires et mis l’Univers sous le joug. J’ai suscité le peuple le plus hardi et, en même temps, le plus réglé dans ses conseils, qui a porté au plus haut degré l’art de vaincre et celui plus difficile d’affermir un Etat, créé le Droit éternel et édicté ces lois qui ont paru si saintes que leur majesté subsiste encore malgré la ruine de l’Empire parce que le bon sens, qui est le maître de la vie humaine, y règne partout, qu’on ne voit nulle part une plus belle application des règles de l’équité naturelle[1]. »

Ce magnifique spectacle des œuvres de la raison humaine a inspiré à Thomas d’Aquin sa célèbre définition de la loi : Ordinatio

  1. Bossuet, grand toujours et partout, ne l’est jamais autant que dans la partie de son Discours sur l’Histoire universelle consacrée à l’empire romain.