Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de cette vie future dont nous avons l’invincible pressentiment ? quels rapports avons-nous avec les mondes qui nous enveloppent ? La raison ne le sait pas, ne peut pas le savoir, ne le saura jamais, malgré tous les progrès de la science ; elle domptera l’Univers ; elle n’escaladera pas le ciel, et ne percera pas le mystère de l’Infini.

Il est des esprits qui se résignent à s’arrêter à la limite infranchissable et qui, stoïques devant les épreuves de la vie comme devant l’inconnu de la mort, s’en tiennent à ces pensées de Cicéron et de Marc-Aurèle qui se complètent l’une par l’autre. Ils disent avec Cicéron : « La mort, il n’en faut tenir nul compte si elle éteint notre âme ; il faut la souhaiter si elle lui ouvre un séjour d’immortalité. Si je me trompe en croyant les âmes immortelles, je me trompe avec plaisir et je ne veux pas qu’on m’arrache une erreur qui fait le charme de ma vie. Que si, au contraire, comme le disent quelques demi-philosophes, je n’ai plus de sentiment après ma mort, je ne crains pas qu’ensevelis comme moi dans le néant, ils se moquent de ma crédulité[1]. » Ils disent encore avec Marc-Aurèle : « Il faut toujours avoir devant les yeux le peu de durée, le peu de prix des choses humaines : hier, ce n’était qu’un germe, demain ce sera de la cendre ; il faut donc se conformer à la nature durant cet instant imperceptible que nous vivons ; il faut partir de la vie avec résignation comme l’olive mûre qui tombe en bénissant la terre qui l’a nourrie et en rendant grâces à l’arbre qui l’a produite[2], » Mais d’autres, plus tourmentés des besoins de certitude, veulent absolument savoir ce que la raison est impuissante à apprendre.

Alors commence le rôle de la religion. Elle dit : A côté de la révélation intime et permanente qui est en toi, il en est une autre accidentelle, extérieure, bien plus divine, celle que m’a apportée un messager d’en haut, qui, pour les uns, s’appelle Moïse, pour les autres Çakya-Mouni, pour les autres Mahomet, pour les autres Jésus-Christ. Dante avait pu, sous la conduite de Virgile, traverser les demeures dolentes de l’enfer et celles qu’éclaire le demi-jour voilé du purgatoire, mais il ne serait pas allé plus loin, si Béatrice n’était venue et, aux sons des idéales mélodies, ne l’avait introduit dans les splendeurs de l’éternelle lumière : la religion est la Béatrice de l’humanité. Cousin n’a

  1. De Senectute.
  2. Pensées.