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pas vu que Virgile et Béatrice ne conduisent pas dans les mêmes demeures et que la philosophie et la religion n’ont ni le même objet ni le même guide : selon lui, ce que la religion exprime sous forme de symboles, la philosophie l’éclairant, le traduit en pensées, en vérités pures et rationnelles. Elle ne détruit pas la foi, elle l’éclairé, la féconde et l’élève du demi-jour du symbole à la pleine lumière de la pensée pure : elle lui tend doucement la main et l’aide à s’élever plus haut encore.

Non, la philosophie n’est pas un perfectionnement de la religion ; elle ne la féconde ni ne l’éclaire. Elle est à côté d’elle et en dehors d’elle, ayant son objet propre, distinct de celui de la religion, ni supérieure ni subordonnée, mais indépendante ; l’une se tient dans l’ordre naturel, l’autre dévoile le monde surnaturel : entre les deux, il y a donc différence et non hostilité. Cependant la religion n’empiète pas, lorsque, désireuse de posséder l’homme tout entier, elle ne laisse pas à la philosophie seule le soin de lui enseigner les vérités naturelles ; qu’elle les fortifié par son dogme en y ajoutant des sanctions divines et en donnant l’enfer comme supplément à la prison. Elle ne sortirait de ses limites que si, méconnaissant qu’une philosophie, même faite par des théologiens, reste une œuvre de la raison, elle imprimait à la science rationnelle, telle qu’elle la conçoit, le caractère d’infaillibilité réservé à ce qui relève de la foi. Mais la philosophie empiète certainement quand, non contente d’affirmer Dieu, elle veut encore l’expliquer, le définir, décrire ses attributs et le mode de son action. Cousin a commis un excès de pouvoir en émettant les propositions suivantes : « La création est un acte nécessaire qui ajoute à la perfection divine ; Dieu est dans la nature aussi bien que dans l’homme, il n’est pas un Dieu abstrait, un roi solitaire, relégué par delà la création sur le trône d’une éternité silencieuse et d’une existence absolue qui ressemble au néant même de l’existence. C’est un Dieu à la fois vrai et réel, à la fois substance et cause, toujours substance et toujours cause, il n’est substance qu’en tant que cause et cause qu’en tant que substance, c’est-à-dire étant cause absolue ; un et plusieurs, éternité et temps ; espace et nombre, essence et vie, individualité et totalité, principe, fin, milieu ; au sommet de l’être et à son plus humble degré ; infini et fini tout ensemble ; triple enfin, c’est-à-dire à la fois Dieu, nature, humanité. »

Qu’en sait-il ? la raison ne lui a rien appris de tout cela. Une