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Il eut tort seulement de caractériser sa théorie d’un mot : Eclectisme[1], qui paraît impliquer l’acte d’un collectionneur d’idées, qui les place les unes à côté des autres et les coud par une aiguille logique purement empirique. Il eût mieux valu dire : Synthèse, ce qui suppose qu’on sait déjà la vérité pour la reconnaître partout et la distinguer de l’erreur qui est mêlée à chaque système.

Il ne s’est pas tenu au précepte. Il a essayé d’instituer un système « qui sans être aucun de ceux jugés par lui, se rapproche de chacun autant qu’il en diffère, original quoique empruntant ses idées fondamentales : c’est l’idéalisme platonicien ou le spiritualisme. Il l’avait d’abord enveloppé des nuages métaphysiques de la terminologie allemande ; il le ramena à la clarté précise et logique du cartésianisme, sans le rendre cependant exclusif. Du sensualisme qu’il rejette, il garde cette loi fondamentale que si la raison est supérieure aux sens et à l’expérience, elle ne peut se développer sans leur secours, que si la sensation n’est pas le fondement de la connaissance, elle en est la condition indispensable ; si elle ne crée pas les idées, elle les suscite, elle les réveille du sommeil d’attente dont elles ne sortiraient pas sans cet appel extérieur. Il n’admet pas le mysticisme, mais il reconnaît que le sentiment, dont il est l’exagération, est nécessaire au gouvernement de l’homme. Il pense avec Quintilien, avec Vauvenargues, « que la noblesse des sentimens fait la hauteur des pensées ; la voix du cœur, c’est la voix de Dieu ! » À l’aide de cette méthode il édifie autour des trois notions, du Vrai, du Beau et du Bien, une doctrine qui enseigne la spiritualité de l’âme, la liberté et la responsabilité des actions humaines, l’obligation morale, la dignité de la justice, la beauté de la charité et, par delà les limites de ce monde, montre un Dieu auteur et type de l’humanité, qui, après l’avoir faite évidemment pour une fin excellente, ne l’abandonnera pas dans le développement mystérieux de sa destinée. Cette philosophie n’est que la forme laïque de la philosophie chrétienne. Mais cette philosophie chrétienne n’est elle-même que le développement de la philosophie antique ; c’est la philosophie humaine, permanente, nécessaire, indestructible, fixée, développée et perfectionnée.

  1. On a défini l’Éclectisme par cette maxime : « Les systèmes sont faux par ce qu’ils ment et vrais par ce qu’ils affirment. » Cette définition est de Leibnitz, non de Cousin.