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cour de palais. On peut se la figurer telle qu’elle était. Les fûts des colonnes ont été remis en place sur leurs bases, le long des hautes salles voûtées qui s’ouvraient à l’en tour : salles de dépôt pour les enseignes, salles d’archives, salles de réunion pour les collèges de sous-officiers, petites chapelles en abside, où l’on vénérait les effigies des empereurs et celles des divinités militaires. A proximité, il y avait des thermes, dont on a retrouvé les traces, — et probablement des arsenaux, des écuries, des hôpitaux, des bureaux pour l’Etat-major...

Mais tout cela s’éclipse devant la masse admirable du prætorium. Certes, le style en est sévère, ainsi qu’il convient à un bâtiment de guerre. Cependant il n’a rien de la froide nudité géométrique qui, depuis Vauban, caractérise les constructions de notre Génie militaire.

Les façades sont percées de larges ouvertures en plein cintre, d’une courbe aussi hardie que celle d’une arche de pont. Des rangées de pilastres rompent l’uniformité des plans ; et, sur des piédestaux d’une carrure monumentale, se dressent des colonnes corinthiennes qui supportaient un entablement, de façon à former une galerie continue autour de l’édifice. Des statues étaient disposées probablement autour de ce promenoir. En tout cas, les clés des arcades sont rehaussées de sculptures d’une exécution très sobre ; ce sont des Victoires, des Aigles, des figures allégoriques tenant la corne d’abondance et la patère, symboles de la paix romaine !

Encore une fois, chacun de ces détails, pris isolément, n’a pas une valeur d’art extraordinaire. C’est l’ensemble qu’il faut considérer. Alors on en reçoit une impression singulièrement grandiose. Le profil de ce palais est vraiment impérial. Ces blocs de pierres rougeâtres, qui se développent en cordons symétriques, portent l’empreinte d’une volonté tenace et dominatrice qui défie les hommes comme le temps. Cela semble bâti pour l’éternité. Le génie de Rome vit tout entier dans cette maçonnerie indestructible.

Rome a été la grande bâtisseuse de l’antiquité, de même que l’Italien d’aujourd’hui est encore le muratore, le maître-maçon par excellence. La ville maîtresse a modelé le monde à son image, elle a façonné la Barbarie anarchique et tumultueuse. Même dans les lignes très simples d’un aqueduc ou d’un pont, elle a su ramasser, comme dans un exemple concret, les quelques