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opéra-comique. On aimerait l’entendre, la pimpante ouverture, entre celles du Cheval de Bronze et de l’Italienne à Alger, dans un vallon thermal des Pyrénées ou des Alpes, un soir d’été, sous les arbres du « jardin de l’établissement. »

Cette vie, que l’ouverture annonce et résume, se partage, au cours du premier acte, entre les épisodes ou les mouvemens scéniques d’abord, et puis entre les divers élémens de la musique elle-même : entre le récitatif ou le dialogue mélodique et le chant proprement dit, entre les instrumens et les voix. Il y a là toute une série de petits tableaux sonores, traités du bout des doigts avec autant d’aisance] que de sûreté. La couleur en est vive, le dessin ferme et délicat. C’est l’entrée ou la sortie d’un personnage, une ritournelle d’orchestre ; c’est un chœur, un ballet surtout de quelques mesures, c’est une trouvaille de rythme, d’harmonie ou de sonorité.

La première apparition de Chérubin ne manque ni de lumière ni de chaleur. Ce que chante ici le jeune héros, ce qui chante avec lui et comme lui, mélodie, orchestre, tout porte les signes authentiques et particuliers de la manière ou du style du maître ; le charme, l’élan avec l’éclat, le nerf, ou plutôt peut-être les nerfs, la tendresse passionnée, un peu sensuelle de la phrase et jusqu’à sa chute mourante. Grisélidis, autrefois, commença par une phrase analogue. Sans l’égaler, celle-ci la rappelle et pourrait servir aussi d’exemple à qui voudrait analyser et définir l’espèce de lyrisme propre à M. Massenet et la forme ou le contour musical qu’il a vraiment créé.

Il anime encore, ce lyrisme, d’un souffle plus chaud et plus profond, la meilleure page de l’œuvre, le duo d’amour du second acte ; au moins le début du duo, car un éclat banal en gâte la péroraison inutilement précipitée et violente. Mais l’exorde a beaucoup de charme : un charme non pas superficiel cette fois, mais intense ; un charme fait de passion et de langueur, de poésie autant que de naturel et de sincérité. Ce n’est plus de Grisélidis, mais de Werther même qu’il serait ici, pour un moment, possible de se souvenir.

Et je sais bien qu’ailleurs, partout ailleurs, l’adresse, l’aisance, l’ingéniosité, le tour d’esprit et de main, le talent en un mot surabonde. Il se révèle sans cesse. On regrette seulement qu’il ne se surveille pas davantage. Le musicien de Chérubin a une si jolie manière, — il en a même plus d’une, — de dire les choses ! Que ne prend-il toujours, non pas la peine, rien ne lui pouvant être pénible, mais le temps au moins de les penser !

Mlle Garden, dans le costume et dans le personnage de Chérubin,