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a paru pimpante et fringante, papillonnante et papillotante à souhait. Et même, comme dit Suzanne, « pour le sentiment, c’est un jeune homme qui... » Mais je préfère encore à ce qu’il y a de sentimental, ce qu’il y a de vif et d’un peu mordant en sa voix, de ferme et de précis dans son chant. Par son art, comme par sa personne, Mlle Garden a donné l’impression d’une élégance nerveuse et souple, de ce qu’on nomme le sang ou la race. Il est vrai que c’est d’une face étrangère. Mais un rôle espagnol chanté en français par une Anglaise, n’est-ce pas là quelque chose de très « parisien ? »


Paris d’ailleurs a partagé ses faveurs printanières entre les deux grands génies étrangers de la musique : celui de l’Allemagne et celui de l’Italie. Aux quatuors de Beethoven, exécutés par M. Joachim et ses disciples, ont succédé les neuf symphonies conduites par M. Weingartner. Voilà deux cycles merveilleux, plus vastes encore que l’Anneau wagnérien ; si vastes, que d’eux aussi, chaque fois qu’on essaie de les mesurer, on reconnaît que le centre est partout et la circonférence nulle part.

Beethoven depuis quelques mois domine, ou remplit notre horizon. Dans l’intelligence et dans l’amour de son œuvre, M. Edouard Risler pénètre et nous conduit chaque année plus avant. Avec le concours de M. Hausmann, le solide et sérieux violoncelle du « quatuor » Joachim, M. Risler nous a révélé quelques sonates, ignorées et magnifiques, du maître. Seul, il nous avait auparavant donné de l’Aurore et de l’Op. 106 une interprétation plus que jamais admirable de profondeur autant que de clarté. Toute joie musicale, — nous ne parlons ici que d’une haute, d’une noble joie, — rappelle une définition souvent citée de la musique : le rapport entre les forces du son et les forces de l’âme. Rien ne fait mieux concevoir et même percevoir ce rapport, que d’entendre M. Risler. Le son et l’âme, c’est-à-dire le son et le sentiment, le son et la pensée : que ce soit, dans l’adagio de l’Op. 106, la pensée contemplative, ou, dans la fugue suivante, la pensée en acte, nous voyons les deux élémens ou les deux termes s’animer, se développer et se concerter devant nous. Et parce qu’ici la technique ou le métier fournit à l’intelligence de l’artiste tous les moyens qui la peuvent servir, et dont elle ne fait que se servir en les dominant toujours, un art tel que celui de M. Risler, ou plutôt celui-là seul, car je n’en sais pas de pareil, réalise la perfection à la fois dans l’ordre sensible et dans l’ordre de l’esprit.

C’est la perfection aussi que le chant de Mme Mysz-Gmeiner, et que