Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

douteux que la « musique à programme, « celle même de M. Richard Strauss, — et nous ne parlons que de programme « intérieur » ou psychologique, — ait produit jusqu’à présent, comme programme et comme musique, rien d’aussi long et d’aussi chargé. L’œuvre dure, sans interruption, près d’une heure. Et dans l’espace il semble que l’exorbitante polyphonie tienne encore plus de place que dans le temps.

Non pas que cette chose énorme soit creuse. La substance musicale y surabonde. Les thèmes principaux existent, valent par eux-mêmes ; ils ont du caractère et du relief. De plus ils se prêtent au développement, et Dieu sait que l’auteur ne se fait pas faute de les développer. Il ne s’entend pas moins à les revêtir ou à les parer de toutes les couleurs instrumentales. On trouve dans cet orchestre des parties ou des « coins » délicieux. Mais avec cela, trop est trop, et l’accroissement inouï de la matière ou du matériel sonore, la complication, l’outrance et le paroxysme continu sont ici les signes funestes de cette hypertrophie symphonique dont la musique souffre, et dont il est temps qu’un musicien de génie, — de génie clair et simple, — vienne enfin la guérir.

La saison qui s’achève ne permet pas d’espérer, — pour le moment du moins, — que celui-là viendra d’Itahe. Il ne sera, si l’on en croit les courageux témoins de toutes les représentations données sous les auspices de M. Sonzogno, ni M. Cilea, l’auteur d’Adriana Lecouvreur ; ni celui de l’Amico Fritz, M. Mascagni ; ni celui de Zaza, M. Leoncavallo ; ni même, bien que le dernier soit ici le premier, celui de Fedora, d’Andréa Chénier et de Siberia, M. Giordano.

Pendant que Paris s’initiait au répertoire ultramontain, Rome, où nous nous trouvions, était presque muette. On eût dit que sa musique entière l’avait abandonnée. Elle n’avait conservé que trois opéras de M. Mascagni : l’Amico Fritz, Guglielmo Ratcliff et le plus récent de tous, Arnica, dont le théâtre de Monte-Carlo eut, au printemps, la primeur. Encore un cycle, mais plus modeste, étroit comme l’anneau dans lequel, au temps qu’il était page, sir John Falstaff eût passé. Peu de temps suffit pour en faire le tour. Excepté certain réalisme, ou « vérisme, » comme ils disent là-bas, tout ensemble superficiel et brutal, on rencontre dans les trois ouvrages de M. Mascagni, particulièrement dans Ratcliff et dans Arnica, les gros défauts de la moderne musique italienne. Nous disons : les défauts, quand nous songeons à la faiblesse, à la banalité des idées, à la négligence, à la platitude du style ; en pensant à la trivialité des rythmes, à la