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l’initiative apparente et protocolaire de la conférence a été prise, non pas par lui, mais par le gouvernement marocain, et qu’il nous ait dès lors conseillé de nous adresser à Fez plutôt qu’à Berlin. Nous sommes prêts à prendre ce détour si on y tient ; mais c’est nous obliger à courir après des ombres au mépris des réalités. Il est parfaitement exact que la proposition de nous rendre à une conférence nous a été adressée parle sultan du Maroc ; mais nous en aurions fait le cas qu’elle aurait méritée en nous venant de cette source, si elle n’avait pas été appuyée par l’Allemagne, et non seulement par une note, mais encore par une glose qui nous mettait directement et personnellement en cause devant toute l’Europe. Nous étions donc en droit d’adresser à Berlin notre demande d’explication. Le gouvernement impérial aime mieux aujourd’hui se placer derrière le gouvernement chérifien. Nous répéterons : soit ! Nous le répéterons aussi souvent que cette réponse sera compatible avec nos intérêts primordiaux et avec notre dignité. Nous le répéterons sans doute lorsqu’il faudra prendre une résolution définitive au sujet de la conférence : mais cette adhésion, devenue à peu près inconditionnelle, n’en restera pas moins à nos yeux un réel danger. Le monde entier y verra du moins une preuve de notre bonne volonté persistante et presque inlassable. Le problème à résoudre n’en sera point modifié : on aura seulement refusé de l’envisager d’avance sous toutes ses faces. Quel est-il donc ?

On nous invite à nous rendre à la conférence : la première, ou plutôt la seule question que nous ayons à nous poser est de savoir si nous avons quelque chose à y gagner. Nous admettons volontiers que notre situation est momentanément affaiblie au Maroc, qu’elle est difficile, qu’elle est mauvaise : sera-t-elle meilleure au sortir de la conférence ? On nous a prêté au Maroc des vues que nous n’avions pas ; on nous y a attribué des projets qui n’étaient pas les nôtres ; on a dit que nous voulions en faire une seconde Tunisie. En vain avons-nous protesté contre l’exagération criante de ce tableau : on a persisté à le déclarer exact. Ce n’en est pas moins pure fantasmagorie. Lorsque, dans nos arrangemens avec l’Angleterre et avec l’Espagne, nous avons déclaré que nous respecterions la souveraineté du Sultan aussi bien que l’intégrité de son territoire, et que nous avons ajouté que le régime économique du Maroc serait celui de la porte ouverte, nous avons été parfaitement sincères, bien qu’on ait douté de notre parole. Et pourtant, nous l’avouons, le soin que nous prenions de l’intérêt général ne nous faisait ni oublier, ni sacrifier notre intérêt particulier : nous espérions qu’il y aurait pour nous quelques avan-