Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/290

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’aucun lendemain. » Car, quelle est cette organisation nouvelle qui « fait défaut au monde moderne ? » en quoi consistera-t-elle ? et qui se chargera d’en garantir les effets ? C’est ce qu’ils se gardent bien de dire ! Et, aussi bien, comment le pourraient-ils ? Mais, en attendant, ils n’en répandent pas moins dans le monde cette idée qu’ils connaissent un remède à des maux regardés jusqu’ici comme inséparables de la condition humaine ; — que, pour appliquer ce remède, il suffirait d’un peu de bonne volonté ; — que jusqu’à eux, la sottise, l’égoïsme, l’intérêt, des préoccupations de classe ou de parti s’y sont seuls opposés ; — et qu’on ne saurait faire enfin d’obstacle à leurs généreux desseins sans être suspect d’autant de sécheresse et de dureté de cœur que d’étroitesse d’intelligence.

Je me révolte enfin contre cette manière de travestir les choses ! Je n’admets point que M. le baron d’Estournelles, ou le professeur Charles Richet, ou le savant M. Havet, — de la bouche duquel je n’ai jamais entendu sortir que des paroles de colère ou de haine, — aient le monopole de l’ « amour du prochain. » Je n’admets point qu’ils présentent ceux qui ne partagent pas leurs opinions sur la guerre ou sur le désarmement, comme indifférens à des souffrances dont eux seuls, en tant que pacifistes, auraient mesuré la profondeur et l’étendue ; et c’est pour cela même qu’ils seraient pacifistes.

Nous autres « conservateurs, » comme nous nous laissons appeler, — et nous avons peut-être tort, parce que les noms, bien loin d’être indifférens, font les préjugés en politique comme en morale, — nous laissons en tout nos adversaires se réclamer d’une connaissance et d’un sentiment des réalités, d’un souci du progrès, d’une préoccupation du bien, qu’ils ont d’ailleurs ou qu’ils n’ont pas, — c’est un point que je discuterais volontiers avec le sénateur, — mais en tout cas qui ne sont pas plus liés à leur radicalisme qu’à notre « conservatisme. » Il est temps de le dire, et temps de le prouver. On n’a point l’âme cruelle ni féroce, pour parler de la guerre comme a fait l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg ! On ne l’a point douce, humaine et sensible, pour parler de la paix comme font nos pacifistes. Il se pourrait au contraire qu’on l’eût très haute et très noble dans le premier cas, et dans le second, assez vulgaire, assez prosaïque et un peu basse. Il n’est pas certain que ceux-là soient les vrais amis de leur espèce qui ne trouvent au total d’autre but à nous