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proposer que celui de nous enrichir ; et il l’est encore moins que ceux-là ne soient que les représentans du plus monstrueux égoïsme qui font passer plusieurs autres préoccupations avant celles de la fortune. Je ne veux point décider si Rome a bien servi les intérêts de l’humanité, — je l’examinerai quand je parlerai de M. Ferrero, — mais je suis absolument sûr que la victoire de Carthage les eût pour longtemps compromis. Et cela ne veut pas dire qu’il y ait dans la guerre une « vertu cachée, » quoique cela pût se soutenir ; ni même, et encore une fois, qu’elle soit une loi du monde ; mais cela veut dire qu’il ne suffit pas qu’elle soit la guerre, et qu’elle s’accompagne de son cortège d’horreurs, pour qu’on la condamne. Et surtout cela veut dire qu’aussi longtemps qu’elle sera le suprême recours de l’indépendance ou de l’honneur national menacés, aussi longtemps on servira mal les intérêts de son peuple et ceux de l’humanité même, en essayant de subordonner, mais surtout de ridiculiser ou de déshonorer les vertus militaires, et en dénonçant la guerre comme le fléau des fléaux.

On me répondra, je le sais bien, qu’ainsi pense-t-on parmi les pacifistes, et que le Programme du Comité de défense a précisément pour objet de « couper court aux fantaisies des critiques » qui prétendent qu’en améliorant les relations extérieures de la France, le pacifisme l’affaiblit. Mais, de cela, d’abord, les pacifistes en sont-ils sûrs ? et nous, ne connaissons-nous pas trop leurs pensées de derrière la tête, celles qu’ils exprimaient librement, tandis qu’on n’y prenait pas garde, il y a sept ou huit ans, pour être dupes d’une modération de langage que les circonstances les obligent seules aujourd’hui d’affecter ? Laissons cependant, pour leur faire plaisir, les généralités de côté. Tenons-nous-en aux faits, et demandons-leur seulement ce qu’ils entendent quand ils nous parlent de « l’amélioration » dont ils seraient les ouvriers ? Et comment donc ? le rapprochement franco-anglais serait-il l’œuvre du vénérable M. Frédéric Passy ou du professeur Richet ? Serait-ce à sir Thomas Barclay ou au sénateur baron d’Estournelles que nous devrions savoir gré de l’accord franco-italien ? C’est évidemment ce qu’ils croient. « Le plus difficile est fait, » nous disent-ils dans leur Programme, avec une assurance admirable, et « c’est à la seule initiative privée » qu’on le doit, — ce qui veut dire à la leur. Je doute que ce soit l’opinion des ministres et des ambassadeurs qui ont cru attacher leur nom à ces