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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/392

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toucheurs conservent un fâcheux prestige. Le développement de l’instruction a-t-il favorisé l’esprit d’initiative ? Trop peu assurément : c’est à qui ne commencera pas, la leçon de choses a besoin de se répéter souvent, et nulle part autant qu’au village ne se multiplient les disciples de saint Thomas. Confessons-le tristement : le collège les éloigne de la vie rurale, et de nombreux instituteurs semblent n’avoir d’autre but que de fabriquer des messieurs : beaucoup aussi comprennent leur rôle social, savent intéresser leurs élèves aux choses de la campagne. Mais les parens sont encore les premiers et les plus coupables, eux qui, de propos délibéré, éloignent leurs enfans de cette vie rurale qui leur a donné la santé morale et physique. « Les écoles ne sont pas coupables de cette situation, affirme l’instituteur de Pusey ; le grand coupable, c’est l’état d’âme des parens. C’est contre cet état qu’il faut que l’école lutte, réagisse, en préparant depuis le bas âge des paysans. L’école du village doit former des villageois. » Et puis encore, les enfans ne sont pas assez tenus par leurs parens qui, à la campagne comme à la ville, causent trop librement devant eux, et ne font pas assez contrepoids à la nature, cette maîtresse de sensualisme. Qui donc a comparé l’homme à une bête féroce et lubrique qui a besoin d’être encadrée entre deux cornacs, le gendarme et le professeur de morale ? En tout cas, c’est Diderot qui, dans le Neveu de Rameau, affirme que, si on abandonnait à lui-même, sans éducation, sans frein, le petit sauvage, à l’âge de vingt ans, il tuerait son père et prendrait sa place auprès de sa mère.

Au village, la fortune résulte au moins autant de l’économie que du travail ; l’économe, l’avare, se décide à subir des privations qui ne représentent que l’absence de besoins, « il se prive moins de jouir qu’il ne jouit de se priver, » poursuit la conquête du Saint Graal, des pommes d’or du jardin des Hespérides, de la terre divine. Chaque écu mis de côté emmagasine de la puissance ; quand on dit qu’il a de quoi, qu’il a du foin dans ses bottes, on lui a adressé le compliment qui au fond du cœur le touche le plus. Et l’on rencontre encore beaucoup de ces gens-là, mais moins qu’autrefois ; les vignerons, les petits et moyens cultivateurs, les domestiques de ferme, la majorité des journaliers, manquent de prévoyance : il faut avouer aussi que leur budget, souvent bien modeste, laisse peu de place à un excédent. Dans une étude sur Flaucourt (Somme) le trouve cette explication