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scientifiques et du jargon de l’école, n’est que la domination organisée de l’envie, l’hypocrisie du progrès, et une des maladies psychologiques de l’humanité. »

Le droit de grève comporte deux facultés maîtresses, celle de se faire du bien, celle de se faire du mal ; et puis encore il permet de nuire beaucoup au patron, au propriétaire, à l’employeur, à l’ordre social, soit légalement, soit illégalement. Jusqu’ici, les travailleurs ruraux ont paru sensibles aux inconvéniens plus qu’aux avantages, et ils ont l’air de penser que c’est là une marchandise qu’il faut laisser aux ouvriers industriels. Mais le socialisme a compris qu’il ne ferait rien tant qu’il n’ébranlerait pas les hommes de la terre ; il s’est mis à l’œuvre avec persévérance, avec habileté ; l’exemple de l’Italie, de l’Espagne, de la Galicie a impressionné les salariés dans plusieurs régions où l’absentéisme, la grande propriété, des souffrances trop réelles, d’autres circonstances, ont créé un état d’âme particulier, un bouillon de culture propre à l’éclosion de la grève. M. Jaurès, qui ne siège pas au plafond comme Lamartine, a dépeint avec grandiloquence les bûcherons du Cher « si pauvres dans la vivante richesse des forêts, » les ouvriers agricoles, « humbles, usés, dépendans, qui enfouissent tout leur travail dans la terre d’autrui, en attendant qu’on enfouisse leurs corps dans la seule terre commune ; » il les convie « à faire briller, au-dessus des privilèges de la propriété oisive, leur parole et leur force, comme ils font briller l’éclair de leur faux au-dessus des herbes mûries. » On l’a écouté, et ses disciples ne se contentent point de poursuivre à l’amiable le relèvement des salaires avilis par la crise de l’exploitation forestière ; la grève des bûcherons de la Nièvre, du Cher et de l’Allier a révélé la pensée véritable, la lutte de classe, la volonté de dégager de la doctrine une conscience, une morale, un état nouveau. Les syndicats de bûcherons se sont formés, un lien fédératif les a partout réunis, ils obéissent à la direction des députés socialistes de cette région qui comprend plus de neuf millions d’hectares de bois appartenant à l’Etat, aux communes ou aux particuliers, et répartis sur cinq départemens. Ce qu’ils ont obtenu, ils pouvaient l’avoir sans fracas, sans menaces, par le simple usage des droits que confère la loi de 1884 : mais ils veulent en même temps l’infini, ces grands enfans hallucinés d’un faux idéal, amans de l’incroyable ; or les premières victimes de leurs chimères sont eux-mêmes, et puis