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ne pas se heurter aux forces anglaises qui l’attendaient à l’entrée de la Manche, et peut-être dans l’espoir de les entraîner à sa poursuite, il gouverna d’abord au Nord-Ouest, puis au Sud, et, en désespoir de cause, finit par entrer à Cadix le 21 août. C’était le moment où Napoléon avec la Grande Armée, réunie au camp de Boulogne, attendait, les yeux fixés sur la mer, le moment de fondre sur l’Angleterre.

Nous nous trouvâmes réunis à Cadix au nombre de trente-trois vaisseaux tant français qu’espagnols. C’était une flotte imposante, mais bien des causes de faiblesse se cachaient sous cette apparence. Par l’Intrépide qui était un ancien vaisseau espagnol, nous pouvions juger des autres. Bien qu’il fût censé de 80 canons, son échantillon était si faible qu’il ne pouvait armer dans ses batteries que des pièces de 24 et de 18 au lieu déporter du 36 et du 24 ; il marchait mal, et ne valait pas un bon vais- seau de 74. À plus forte raison était-il inférieur aux vaisseaux de 80, le plus beau type de navires de guerre qui aient jamais été construits. Notre équipage était faible, mais du moins il était bon, ce qui ne pouvait se dire de ceux des vaisseaux espagnols, forcés par les croisières anglaises à pourrir depuis des années dans les ports.

Nous reçûmes alors un nouveau commandant pour remplacer M. de Péronne. C’était un Provençal nommé Internet, d’une taille colossale et d’une bravoure héroïque, qui s’est acquis à Trafalgar une impérissable renommée. Il parlait très mal le français et préférait de beaucoup s’exprimer dans son patois ; mais pour la besogne que nous avions à faire il nous eût fallu beaucoup de capitaines de cette trempe.

Vers cette époque le bruit se répandit que l’Empereur, fatigué des hésitations de l’amiral Villeneuve, avait pris le parti de le démonter de son commandement, et en effet l’amiral Rosily, destiné à le remplacer, avait pris la poste à Paris pour se rendre à Cadix. Cette nouvelle décida enfin Villeneuve à agir. Comme un animal acculé qui ne compte plus le nombre de ses ennemis, il prit le parti de livrer bataille, après avoir perdu tant d’occasions favorables, et avoir donné à Nelson le temps de le rejoindre devant Cadix.