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beaucoup mieux que le mien. Je lui donnai en outre des instructions par écrit, assez satisfait à part moi de lui voir reconnaître ainsi ma supériorité.

Nous appareillâmes ensemble, et en même temps que la frégate la Nymphe, qui avait une autre destination. Il existait entre les deux frégates une rivalité de marche ; toutes deux, pour lutter de vitesse, se couvrirent de toile et me laissèrent bien loin en arrière. Quand M. de Chaumareix se souvint du banc d’Arguin et de l’escorte que je devais lui fournir, il ne put me retrouver. Je ne le revis qu’après l’affreuse catastrophe qui fit mourir dans des tortures plusieurs centaines de marins. J’appris en arrivant au Sénégal que la Méduse s’était précisément perdue sur le banc d’Arguin, que son commandant s’était sauvé le premier dans son canot, donnant l’exemple de la plus insigne lâcheté, que plusieurs de ses officiers s’empressèrent de suivre, en se sauvant dans d’autres embarcations. Ils abandonnaient ainsi au milieu de l’océan, sans remorque et sans vivres, un radeau chargé de plus de deux cents hommes, dont une dizaine seulement devaient survivre, après s’être nourris pendant plusieurs jours des cadavres de leurs compagnons.

Je remplis ma mission au Sénégal, et quittai Saint-Louis le 1er décembre 1816, ramenant en France les survivans de la Méduse, et en particulier M. de Chaumareix, assez attristé de son naufrage, mais satisfait de s’en être tiré à si bon compte, et parlant avec une grande liberté d’esprit de cette catastrophe. Je crus bien faire en l’engageant à préparer sa défense, ne lui dissimulant pas que le conseil de guerre qui allait être appelé à le juger, ne trouverait sans doute, ainsi que je le faisais moi-même, aucune excuse à sa conduite. Mais il ne paraissait nullement comprendre son indignité. Je vis que nous ne parlions pas le même langage et je n’insistai plus. Le malheureux fut comme de juste condamné à mort, et sa peine commuée en celle de la prison perpétuelle. Longtemps il m’a poursuivi de ses lettres, comme s’il espérait trouver en moi une appréciation plus indulgente de sa conduite. C’était sans doute un grand coupable, mais une grande part de responsabilité ne devait-elle pas incomber au gouvernement qui confiait à de tels hommes des emplois qu’ils n’étaient pas capables de remplir ?


Les notes de mon grand-père continuent pendant quelques ;