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le Nord. La colonne des bâtimens auxiliaires restait un peu en retrait sur les deux autres. La route de l’armée s’inclina vers le Nord-Est, parallèlement à la direction générale de la côte japonaise. Enfin, estimant peut-être que l’attaque viendrait de l’Est, du détroit de Shimonosaki, l’amiral Rodjestvensky se porta avec sa colonne à huit encablures (1 600 mètres) sur la droite de la colonne Felkersham-Nebogatof[1].

Vers une heure et demie le gros de la flotte japonaise apparut brusquement au Nord, dans une éclaircie qui donnait une dizaine de milles de vue. Les Russes comptèrent 18 bâtimens. Aussitôt ils modéraient leur allure, renvoyaient à quinze encablures en arrière les navires auxiliaires et prenaient leurs dernières dispositions de combat. A deux heures environ les premiers coups de canon étaient tirés par leurs têtes de colonne, à la distance de 8 000 mètres[2].

Voyons maintenant ce qui s’était passé du côté des Japonais. L’amiral Togo n’avait jamais douté sérieusement que son adversaire ne passât par le détroit de Corée[3]. Toutes ses mesures étaient prises en conséquence et en vue de l’exécution d’un plan général d’enveloppement qui consistait à arrêter l’escadre russe par une attaque vigoureuse sur son front, tandis que des détachemens la prendraient en queue et en flanc. Les effets légitimement attendus dans ces circonstances d’une artillerie puissante et bien servie seraient complétés en temps utile par la mise en jeu de six escadrilles de contre-torpilleurs.

  1. La composition de cette colonne, au début de l’action du moins, parait avoir été la suivante : Osliabya (amiral Felkersham) ; Navarin, Sissoï-Veliki, Nicolas Ier (amiral Nebogatof) ; Amiral-Seniavine, Amiral-Apraxine, Amiral-Ouchakof. Les trois croiseurs protégés qui n’avaient pas suivi l’amiral Enquist étaient l’Almaz, l’Izoumroud et le Svietlana. Il est à remarquer qu’aucun des narrateurs, témoins oculaires des événemens, ne s’est préoccupé de donner la composition des divers groupes de bâtimens qui ont combattu. Cette lacune des renseignemens n’est pas l’une des moins embarrassantes pour les critiques.
  2. Le rapport officiel Liniévich dit de 60 à 70 encablures : cela ferait de 12 000 à 14 000 mètres, ce qui ne se soutient pas. Peut-être s’agit-il en réalité de « demi-encablures », mesure employée souvent dans d’autres marines que la russe et qui représente 100 mètres à très peu près. Dans ce cas, il faudrait réduire à 800 mètres l’intervalle entre les deux colonnes Rodjestvensky et Felkersham-Nebogatof.
  3. D’aucuns ont vu dans une conviction si bien arrêtée le résultat d’indiscrétions coupables qui se seraient produites dans la flotte russe après que l’amiral Rodjestvensky eut fait connaître, — lors du dernier ravitaillement, — à ses principaux officiers sa résolution de tenter le passage par Tsoushima. Des suppositions d’une nature aussi grave ne sauraient être admises sans preuves sérieuses,