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mouvemens compliqués sans doute et chanceux, mais que favorise la brume, autant que la parfaite connaissance des parages parcourus. Un seul mécompte se produit à ce moment décisif : les escadrilles de contre-torpilleurs ne sont plus en état de lutter contre la mer, déjà dure à l’ouvert du détroit oriental : le commandant en chef n’hésite pas à se priver de leurs services, au moins pour la première phase de la lutte ; elles iront attendre dans l’excellent abri des Tsoushima l’embellie qui se produit presque toujours dans cette saison à la fin de la journée.

Vers une heure, le gros de l’armée japonaise, c’est-à-dire les cuirassés et les croiseurs cuirassés, — l’amiral Togo n’hésite pas à faire à ceux-ci les honneurs de la ligne de bataille, — court à l’Est à la rencontre de la flotte russe, puis au Sud-Ouest, route opposée à celle de l’adversaire, aussitôt celui-ci découvert. Un peu avant deux heures, mouvement « tous à la fois » qui, en inversant la ligne de file et mettant les croiseurs cuirassés en tête, porte de nouveau l’escadre japonaise vers l’Est pour couper la route de l’ennemi. Le moment est venu : au mât militaire du Mikasa monte le signal : « La destinée de l’Empire dépend de cet engagement : j’espère que chacun fera de son mieux[1]. » — Cet espoir devait être rempli, et au-delà !…

Négligeant de répondre immédiatement aux tireries hâtives des navires russes, l’escadre japonaise attend d’être arrivée à 6 000 mètres de l’ennemi pour commencer la canonnade. Mais alors, les distances étant bien connues, le feu prend très vite toute son intensité, d’ailleurs d’autant plus efficace que les coups se concentrent sur les bâtimens de tête des colonnes russes : le Kniaz-Souvorof reçoit de graves avaries et prend feu ; l’amiral Rodjestvensky, blessé, transporte son pavillon sur le Borodino. L’Osliabya, plus malheureux encore que le Kniaz-Souvorof, est atteint dans ses œuvres vives, incline aussitôt d’une manière dangereuse, quitte la ligne et, frappé de nouveaux coups, s’enfonce à trois heures dix[2]. L’amiral Felkersham a été tué dans son blockhaus. Le Borodino et l’Alexandre-III souffrent beaucoup aussi, le Borodino surtout, depuis que le pavillon amiral le désigne particulièrement aux feux des Japonais ; des incendies

  1. « L’Angleterre compte que chacun fera son devoir, » avait signalé Nelson, à Trafalgar.
  2. L’amiral Togo attribue à l’incendie la retraite de l’Osliabya. Cela ferait donc 4 unités incendiées dès le début.