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Retenons, en tout cas, cette intéressante observation que les cuirassemens des tourelles ont mieux résisté, à épaisseur égale, que ceux des murailles verticales ; et peut-être, de ceci, ne faut-il pas chercher uniquement la raison dans la forme incurvée des premiers. Les plaques de tourelles n’auraient-elles pas été soumises, en principe, dans la marine russe, à des épreuves plus sérieuses que les autres ?

Mais l’émouvant récit que nous a donné l’officier du Borodino, qui commandait la tourelle avant de ce cuirassé, contient, à propos des effets des projectiles sur les tourelles, des constatations d’une indiscutable authenticité, cette fois, et en même temps du plus haut intérêt : « Un projectile atteignit notre tourelle, dit cet officier, et le choc nous fit tomber tous sans connaissance… » Voilà qui répond nettement aux préoccupations de beaucoup de marins et qui est plus décisif que les expériences instituées, on s’en souvient, sur l’un de nos cuirassés, le Suffren, il y a tantôt dix-huit mois. Le feu d’une tourelle peut être arrêté par le choc d’un projectile qui ne pénètre pas, qui n’avarie aucun organe, mais qui produit sur le personnel renfermé dans ce cylindre métallique fermé par une calotte, métallique aussi, des effets physiologiques intenses. La question des tourelles-barbettes va se poser de nouveau[1].

La vitesse est une arme et cette arme est la meilleure auxiliaire du canon, nous l’avons déjà montré, puisqu’elle en multiplie, pour ainsi dire, les effets et les rend plus utiles en permettant de porter les coups sur des points choisis et au moment favorable. Nous en avons toutefois assez dit sur ce sujet pour n’avoir plus à y revenir autrement que pour faire remarquer la diminution de vitesse qui a dû résulter pour les navires russes des avaries subies par leurs très hautes cheminées, organes essentiels du tirage naturel des fourneaux. Nous signalions, il y

  1. Ce qu’on avait voulu expérimenter surtout chez nous, c’était la solidité des organes intérieurs des tourelles et de leur artillerie sous le choc des gros projectiles. A cet égard, les constatations dont nous venons de parler sont assez probantes. Cependant l’officier du Borodino nous apprend que sa tourelle a été détruite par le feu des Japonais ; mais ce résultat est dû au choc simultané de deux projectiles de 305 millimètres. Et, par parenthèse, on se demande si les Japonais n’emploient pas, dans leurs tourelles jumelées de gros calibre, la mise de feu électrique. C’est probable. Il l’est aussi qu’ils pointent à la lunette, ce qui expliquerait la justesse de leurs coups aux grandes distances. Ce mode de pointage est depuis longtemps chez nous l’objet d’expériences qu’il serait peut-être temps de mener à bonne fin.