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a quelques années déjà, que le tir sur les cheminées pouvait donner, dans certains cas, les avantages que procurait autrefois le tir sur la mâture. Il serait d’ailleurs dangereux de bâtir là-dessus un système, en raison de la difficulté d’atteindre des buts relativement restreints et isolés. Rappelons-nous que c’est à la pratique exagérée, presque exclusive, du tir sur la mâture que nous dûmes, nous Français, il y a quelque cent ans, mainte défaite partielle et peut-être le désastre de Trafalgar.

Venons enfin à la torpille et félicitons-nous qu’au moins en ce qui touche cet engin, sujet de tant de controverses, des renseignemens exacts et assez abondans soient venus, en temps utile, remettre « au point » l’opinion que l’on s’était faite tout d’abord, sur la foi de relations fantaisistes, du rôle qu’il a joué à Tsoushima. Loin d’être prépondérant, ce rôle, important encore, n’est que secondaire, au regard de celui du canon ; et, pour bien voir ceci, il ne s’agit pas d’examiner combien il y a eu de navires coulés par l’artillerie des Japonais et combien par leurs torpilles ; il faut se poser seulement la question suivante : sans le canon, qui avait réduit les bâtimens russes à l’état de coques à peu près inertes, qui, en tout état de cause, avait détruit leurs moyens de défense et profondément désorganisé ce qui leur restait d’équipage, qu’auraient pu faire les torpilleurs et leurs torpilles ? — Et sans les torpilleurs, sans les torpilles, au contraire, la flotte de la Baltique n’en était-elle pas moins battue ? Sa destruction, tout, au plus, eût-elle été remise à la journée du 28[1].

Ce rôle de la torpille automobile d’achever et de hâter l’œuvre du canon, nul, après tout, n’en a donné une définition plus juste et plus opportune que ce commandant d’une des escadrilles de contre-torpilleurs, qui, au moment de l’attaque, signalait à ses petits bâtimens : « Nous allons leur donner le dernier coup ! » — C’était bien le coup de grâce, en effet, et si bien que des esprits avisés, critiques un peu raffinés peut-être, n’ont pas manqué de reprocher à l’amiral Togo d’avoir détruit ainsi sans remède de superbes unités de combat, comme le Borodino et le Kniaz-Souvorof, qu’il suffisait de pousser à la côte pour les avoir à discrétion.

  1. C’est ce qui se serait passé, du reste, si le temps ne s’était pas amélioré dans la soirée du 27. Il s’en est fallu de peu, en somme, que les escadrilles japonaises aient été complètement réduites à l’impuissance. Le véhicule actuel de la torpille automobile n’est pas encore et ne sera peut-être jamais un instrument de guerre de toute sûreté.