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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/571

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contradiction. Cette méthode rappelle de trop près les procédés simplistes de la critique religieuse du XVIIIe siècle, et l’on éprouve quelque peine à voir un esprit aussi délicat et aussi élevé que celui du poète de la Justice s’y attarder et s’en satisfaire. Ajouterons-nous que la conception de la science qu’il oppose aux données de la révélation chrétienne est entièrement périmée de nos jours et qu’elle est abandonnée de tous les savans qui pensent ? Il semble donc que, sur ces divers points, sur quelques autres encore, M. Sully Prudhomme n’ait pas suffisamment renouvelé les positions de sa jeunesse. « Bien que l’auteur de cet essai, nous dit-il, n’ait pas persévéré dans ses premières croyances, dans ses premiers actes de foi irréfléchis, son ouvrage pourra être lu sans aucune prévention par les chrétiens demeurés fidèles à leurs Églises respectives. » Le scrupule est touchant ; et touchant aussi le désir qu’exprime le poète que son entreprise d’une restitution de l’ordre logique des Pensées soit « très profitable à ces chrétiens. » Elle l’eût été bien davantage, et pour tout le monde, si, rencontrant devant lui « la question controversée du conflit entre le dogme catholique et la raison, » il l’avait reprise et discutée dans les termes exacts où elle se pose à la pensée contemporaine.

Venant à parler dans sa Préface de l’édition des Pensées publiée par M. G. Michaut, M. Sully Prudhomme s’exprime ainsi : « Cet ouvrage, précédé d’une lumineuse introduction, nous a fourni un précieux contrôle. » M. Michaut a depuis réimprimé en un volume à part, en l’enrichissant de nombreuses notes et de précieux appendices, l’étude sur les Époques de la pensée de Pascal[1]qui formait l’Introduction de sa grande édition des Pensées. Cette étude, d’une allure un peu lente, mais solide, judicieuse et bien informée, constitue l’une des meilleures biographies psychologiques que nous ayons encore de l’auteur des Provinciales. M. Michaut a essayé de faire la synthèse de tout ce que l’on savait de positif et de précis sur Pascal, et de retrouver, à travers ces documens qu’il interprète et qu’il commente avec beaucoup de sagacité, la succession des divers états d’esprit et d’âme par lesquels a passé le grand écrivain durant sa vie si courte et si remplie tout ensemble. On pourra, sur certains points de détail, pousser peut-être plus avant que M. Michaut

  1. G. Michaut, les Epoques de la pensée de Pascal, 2e édition revue et augmentée, 1 vol. in-16, Paris, Fontemoing, 1902.