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V

Unies en effet, par leur responsabilité collective, les 70 charges des agens actuels offrent au public la garantie d’une banque riche d’au moins 150 millions de francs. Lorsque Louis XIII, par édit de 1638, eut porté à 30 le chiffre des « courretiers de change, banque et vente en gros des marchandises étrangères, » que son prédécesseur, avait, créé au nombre de huit, il leur enjoignit, en échange du monopole qu’il leur confirmait, de « faire bourse commune du quart des profits. » Cette disposition tutélaire, abrogée au bout de peu de temps à la demande de la compagnie, ne fut jamais rétablie en droit ; bien qu’en fait les agens modernes se fussent toujours portés fort les uns pour les autres. Lorsque le fonds de réserve ne suffisait pas à remédier aux défaillances de quelques-uns de ses membres, la corporation tout entière se substituait à eux et empruntait au besoin pour désintéresser leurs créanciers.

Cette réserve, qui s’élève officiellement à 7 millions, produit d’un versement de 100 000 francs par chacun des titulaires en exercice, monte réellement à plus de 30 millions, parait-il, car elle n’est connue que de la Chambre syndicale. En outre, la valeur des offices, uniformément fixée à 1 600 000 francs et leur cautionnement de 250 000 francs, constituent pour les créanciers de la corbeille un gage imposant de 130 millions.

Chaque agent opère d’ailleurs à ses risques et périls ; ses chances de pertes sont illimitées et seul il y doit faire face. La confrérie n’intervient qu’en cas d’insolvabilité d’un de ses membres. Mais il est de gros sinistres qui touchent la moitié d’entre eux ou davantage ; chacun commence par se tirer d’affaire de son mieux.

Lors de la chute de Philippart, aventurier de finance, qui noyait un grain de génie dans une dose décuple de charlatanisme, 37 ou 40 agens de change étaient pris dans sa faillite. Il les réunit dans le somptueux salon de son hôtel et débuta en ces termes : « Messieurs, je ne puis pas vous payer… — cri indigné de l’auditoire, qui du reste s’y attendait, — mais j’ai fait préparer pour chacun de vous une liasse de titres variés, réglant exactement, au cours de la dernière liquidation, le compte de ce que je lui dois. » Or, depuis quinze jours, ces titres avaient baissé