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Telle est l’impression de l’arrivée. Elle ne se modifie pas sensiblement dans la suite. Partout se retrouve, dans Constantine, ce caractère d’âpreté et de rudesse primitive.

Cependant, du côté de l’Ouest, quand on s’arrête sur la terrasse de l’Hôtel de Ville et qu’on regarde devant soi, on est tout surpris d’apercevoir des montagnes aux pentes vertes, — d’un vert qui rappelle celui du Nord, — et qui font un contraste inattendu avec le désert pétré de la façade septentrionale. On pense à une Suisse moins grasse et moins peignée. Mais il suffit d’une minute d’attention pour reconnaître les tons poussiéreux de ces verdures chétives. Le sirocco, qui est passé par là, a tout brûlé sur son passage. Nous sommes dans le Nord, sans doute, mais un Nord africain, où les alternatives de chaud et de froid forment les plus extraordinaires contrastes. Constantine est froide. Je me rappelle, un jour de janvier, avoir cassé la glace des ruisseaux, le long des trottoirs. En revanche, pour peu que le soleil s’élève, elle devient immédiatement torride. Les dimanches de printemps, si des hordes d’Arabes circulent sur la chaussée de la rue Nationale, on suffoque dans un air chargé de poussière et saturé d’émanations animales. La ville fume, comme un brasier sur une colline. C’est bien la capitale des pays numides, vastes régions monotones et grossièrement fertiles qui n’ont rien de la grâce toute latine des rivages ni de la mollesse campanienne de Cherchell ou d’Alger.

Les mœurs, en rapport avec le climat, sont avant tout utilitaires. Regardez les maisons neuves qui bordent les rues européennes : elles sont strictement appropriées à leur destination. Rien n’y est sacrifié au luxe [ni à l’apparat. Les costumes des indigènes eux-mêmes n’ont point les riches couleurs du Sud, ni l’élégance un peu efféminée des Maures. Leurs burnous offrent les teintes bises des champs moissonnés, dans la grande plaine sétifienne qui vient expirer sous les murs de Constantine. Quand ils sont tassés en groupes compacts sur une place, ou devant une mosquée, ces paquets de linges s’étalent en une tache boueuse, uniforme et grisâtre… Ainsi du reste ! Même les boutiques de selliers ou d’orfèvres ne présentent nulle curiosité, rien qui trahisse un effort d’art original. On ne s’occupe que de