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Taschi-lumbo. La mortalité des dalaï-lamas est donc du double plus élevée que celle des taschi-lamas. Les dalaï-lamas meurent presque tous jeunes ; peu même arrivent à leur majorité. La cause de ce phénomène, qui pourra paraître étrange au premier abord, ne doit pas être recherchée ailleurs que dans les intrigues de nature religieuse ou politique qui s’agitent dans le gouvernement de Lhassa. Le nomokhan et les kalons n’aiment pas les pontificats prolongés, ni les chefs adultes, et leur intérêt est de multiplier les vacances du pouvoir, pour garder l’autorité suprême. D’autre part, les ambans, dès qu’ils soupçonnent un jeune dalaï-lama d’avoir de l’énergie et du caractère, sont tentés de le faire disparaître ou déposer. Retiré dans son nid de Taschi-lumbo à l’autre extrémité du Thibet, exerçant son autorité sur une étendue de territoire moindre, et par conséquent moins suspect aux ambans et moins surveillé par eux, excitant de moins nombreuses compétitions autour de lui, le taschi-lama a plus de chances de vie ; il peut parvenir à un âge avancé, faire preuve de capacités, donner l’exemple des vertus que recommande Bouddha et se désigner à la vénération des fidèles bien mieux que le pontife presque toujours dans l’enfance de Lhassa.

Conformément à l’enseignement de Tsong-kapa, le taschi-lama et le dalaï-lama ne meurent point. Aussitôt après leur décès ou plutôt leur disparition de la terre, ils réapparaissent en s’incarnant dans le corps d’un enfant en bas âge que des lamas de rang élevé ont pour mission de rechercher et de découvrir. En général, leur choix tombe sur un enfant qui leur paraît des mieux doués, tant au point de vue physique qu’au point de vue de l’intelligence et du caractère. Dès le jour de son élection, le jeune Grand-Lama est soumis à un entraînement spécial et trouve dans le milieu où il vit, dans les égards dont il est entouré, la confirmation constante de l’enseignement qui lui est donné. Les premiers gestes qu’on lui fait faire sont ceux qui se rapportent aux éminentes fonctions qu’il est appelé à exercer. Les premiers mots qu’on lui apprend à balbutier ont trait aux actions de ses vies antérieures, de ses incarnations successives. Les résultats de cette suggestion tiennent du merveilleux, et c’est ici le cas de rapporter la scène curieuse dont fut un des héros l’ambassadeur de Warren Hastings, M. Turner, le seul chrétien qui ait été admis en présence d’un jeune grand-lama et ait pu l’entretenir.