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qu’en 1795 une armée de 75 000 Chinois et Thibétains a envahi le Népal, et l’idée ne peut paraître étrange à un Anglais qu’une armée européenne franchisse l’Himalaya et fasse son apparition dans la vallée du Gange. Il n’est donc pas étonnant que le gouvernement de l’Inde ne soit pas resté indifférent à la pensée qu’une puissance européenne comme la Russie, dont le prestige est grand en Asie Centrale, acquît la prépondérance à Lhassa et contrôlât la politique du vaste organisme politico-religieux, dont l’influence se fait sentir tout le long de la frontière de l’Inde et bien au-delà ; et lord Curzon se hâta de définir, le 30 mars 1904, la politique du gouvernement sur ce point : « L’Inde, dit-il, est comme une forteresse, avec l’Océan comme fossé de deux côtés et des montagnes de l’autre. Au-delà de cette muraille on trouve un glacis d’étendue variable. Nous ne demandons pas à l’occuper, mais nous ne pouvons le voir occuper par un ennemi. Nous sommes très contens de le voir rester aux mains d’alliés et d’amis ; mais, si des influences non amicales s’insinuent et pénètrent sous nos murs, nous serons contraints d’intervenir. C’est là le secret de toute la situation en Arabie, en Perse, en Afghanistan, au Siam, au Thibet. »

Le vice-roi actuel de l’Inde n’est pas homme à négliger d’appliquer les principes directeurs d’un tel programme. Publiciste, membre du Parlement, ministre, lord Curzon a toujours été un impérialiste convaincu, un partisan de la politique d’action, d’expansion et de prestige. Vice-roi de l’Inde, il ne partage pas les prudentes idées de l’école de Lawrence, des Neville-Chamberlain, de tous ces hommes d’Etat et de ces administrateurs qui ont tant contribué à créer l’empire anglo-indien et qui visaient à le renfermer dans ses limites naturelles. Non content d’exercer sur l’Afghanistan une surveillance minutieuse, de maintenir sur le Baloutchistan un contrôle sévère, de faire éclater son intérêt pour la Perse et ses prétentions sur ce royaume par le voyage qu’il a fait en grande pompe dans le golfe Persique, de créer, entre l’Indus et la montagne qui marque la frontière naturelle de la Péninsule, une province limitrophe, quelque chose comme un confin militaire sur l’antique modèle autrichien, il a, dès qu’il l’a pu, après la fin de la guerre sud-africaine, porté son attention sur le Thibet et cherché à implanter l’influence anglaise à Lhassa.

Tout d’abord, sur ses instigations, la Grande-Bretagne notifia