Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/724

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pousser à une politique intransigeante où nos intérêts vitaux auraient été exposés à des risques beaucoup plus sérieux que les siens. Mais elle n’a fait ni l’un ni l’autre. Elle a continué, comme elle l’avait promis, de mettre sa politique en harmonie avec la nôtre, sans jamais la gêner, sans même la juger, et il a été impossible aux yeux les plus prévenus de trouver dans son attitude, dans sa conduite, dans son langage, rien qui fût de nature à encourager chez nous des résolutions imprudentes. C’est une justice à lui rendre, et nous la lui rendons d’autant plus volontiers, qu’au milieu de tant de ruines accumulées en quelques semaines, il est consolant et rassurant pour nous d’avoir conservé les amitiés que nous avions contractées. L’entente cordiale entre l’Angleterre et nous subsiste sans altération ; elle est trop conforme aux intérêts des deux pays pour que les derniers événemens aient pu lui porter atteinte ; tout au contraire, ils l’ont mise à l’épreuve, et elle en est sortie intacte. À ce point de vue, les manifestations de Brest et de Paris entre marins anglais et français méritent d’être signalées avec sympathie. Nul ne peut en prendre ombrage, car l’entente anglo-française ne vise ni ne menace personne, et elle est une garantie pour le maintien ou pour le rétablissement de la paix du monde : car nous commençons à espérer que la guerre prendra bientôt fin en Extrême-Orient et que la Russie pourra enfin se consacrer tout entière à la grande œuvre de sa régénération et de sa réorganisation intérieures.

Cette espérance, que nous ressentons pour la première fois d’une manière sérieuse, vient de la résolution prise par l’empereur Nicolas de répondre à la noble initiative du président Roosevelt, et d’envoyer à Washington des plénipotentiaires bien choisis en vue de la fixation des conditions de la paix. Tous ceux auxquels l’Empereur a successivement songé pour leur confier cette mission patriotique méritaient également sa confiance. Nul assurément n’était plus capable de la mener à bien que M. Nélidoff qui représente si dignement son souverain auprès de nous ; et, à son défaut, M. Mouravieff, qui le représente à Rome, aurait rempli ses instructions avec beaucoup d’intelligence et de tact. Mais des motifs de santé les ayant amenés à prier l’Empereur de ne pas leur imposer une tâche qu’ils sentaient trop lourde pour leurs forces matérielles, celui-ci s’est souvenu qu’il avait sous la main un homme du plus rare mérite dont les hautes facultés sont depuis quelque temps inemployées, ce qui n’a été certainement un bien ni pour la Russie, ni pour son souverain. M. Witte a toujours