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dans sa causerie les aperçus originaux aux facéties extravagantes, — dans une langue qu’il avait créée, moitié française et moitié italienne, pittoresque toujours et singulièrement savoureuse, — capable, à lui tout seul, de remplir un salon du flux de sa parole, de l’exubérance de son geste, de la sonorité de son rire. « Il avait de l’esprit comme quatre, dit un de ses contemporains[1], faisait des gestes comme huit, et du bruit comme vingt. »

Son succès fut vif à Paris, dans les milieux mondains comme dans les cercles littéraires. « Vous ne sauriez croire à quel point il est ici à la mode ; c’est le second tome de M. Hume. On se pâme de rire à tout ce qu’il dit. » C’est Mme du Deffand qui parle, ajoutant d’ailleurs aussitôt : « Je perds les trois quarts de ce qu’il dit, mais, comme il en dit beaucoup, on peut supporter cette perte. » Parmi quelques coups de griffe de ce genre, la marquise, dans les premiers temps, fait, malgré tout, preuve d’une certaine bienveillance envers l’ambassadeur : « Cet homme est un peu braillard, écrit-elle à Walpole, mais il est doux, il a de la franchise et de la candeur... » — « Je vous dirai, reprend-elle ailleurs, que j’aime assez le Caraccioli. Son caractère est franc ; il a de la noblesse, de la bonté, il est savant, il est bouffon, il a des traits, du raisonnement, du galimatias, du comique. C’est un mélange de toutes sortes de choses différentes, excepté des mauvaises. » Mais soudain le ton change, et le miel se tourne en acide : « Votre Caraccioli me voit souvent, mais je n’augmente pas de goût pour lui. Il a une abondance de paroles, qui ne sont qu’un amas de feuilles sans aucun fruit... On n’est point fâché de le connaître, de le rencontrer, de l’avoir chez soi, mais cependant il fatigue, il assomme. C’est une cervelle de veau dans une tête de singe. » Et comme il est un jour assez gravement malade : « Je crois qu’il crèvera bientôt. Il est plein comme un œuf, et tousse comme un renard, si tant est qu’un renard tousse. » Si l’on tient à savoir le fin mot de ce revirement, on n’a qu’à lire la courte phrase qui sert de post-scriptum à ces aménités : « L’objet de sa vénération, c’est d’Alembert et Mlle de Lespinasse. »

Du jugement un peu réservé que j’ai cité plus haut, il ne faut pas d’ailleurs conclure que Julie soit restée complètement insensible aux hommages de l’ambassadeur, qu’elle n’ait pas, tout

  1. Souvenirs et portraits du duc de Lévis.