édits de l’Impératrice dépassent, nous le verrons, ceux que Kang-Yu-Wei avait inspirés en 1898 ; aussi tous les anciens complices du réformateur, à l’exception de Liang-Tche-Tchao, ont-ils été amnistiés et même réintégrés dans leurs charges et dignités. De temps en temps, les réactionnaires manifestent leur mauvaise humeur par quelque coup à l’ancienne mode, comme ce jour où ils firent mourir sous le bâton le malheureux journaliste Chen-Tsin accusé d’avoir mal parlé de l’Impératrice ; mais ces résistances isolées n’arrêtent pas le mouvement devenu irrésistible : la vieille Chine change, sinon de cœur, du moins de façade.
Dirigé par des vice-rois comme Yuan-Chi-Kai et Tchang-Tche-Tong, le mouvement réformateur est officiel ; il vise à réformer l’Empire par des édits impériaux, à l’imitation des Japonais et avec leur appui ; rien de révolutionnaire, au sens politique du mot, ne vient s’y mêler ; la dynastie est respectée, au moins provisoirement ; l’unité et l’intégrité de la Chine ne sont pas mises en question. Tout autre est le programme des révolutionnaires de la Chine méridionale ; imprégnés de culture et d’idées étrangères, mais en même temps très « nationalistes, » ils affichent leur dessein de renverser la dynastie mandchoue et d’affranchir les vrais Chinois du joug humiliant de ces Tartares ; impuissans à délivrer tout l’Empire, ils se contentent de fomenter des insurrections pour aboutir à une sécession des quatre provinces du Sud-Est : les deux Kouang, le Koui-tcheou et le Hou-nan ; autour de Canton, un État nouveau s’organiserait, avec l’appui des puissances étrangères, et remplacerait l’ancien gouvernement par des institutions libérales empruntées à l’Angleterre et à l’Amérique. Le chef de ce parti est Sun-Yat-Sen.
Ce curieux, énergique et intelligent personnage m’a exposé lui-même, lors de son récent passage à Paris, ses idées et ses projets. Né aux îles Sandwich, d’un père originaire de la province de Canton, Sun-Yat-Sen a aujourd’hui trente-sept ans ; il a fait à Honolulu et aux Etats-Unis de sérieuses études qu’il a complétées à Hong-kong où il resta cinq ans et obtint le grade de licencié en médecine ; il comptait s’établir à Macao, mais les Portugais lui refusèrent le droit d’y exercer son art : c’est alors qu’il commença à s’occuper de politique et à travailler au mouvement de la « Jeune Chine. » Ses partisans et lui-même ne croient pas la Chine capable de se réformer par sa propre