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rêve d’arbitrage ne saurait se réaliser, et durer, que par le moyen de la force. « Les Japonais et les Chinois vivront en bonne intelligence avec les grandes Puissances… quand ces grandes Puissances comprendront que la violence est une complication et non un remède. » Je le veux bien ! mais comment ces grandes Puissances le feront-elles comprendre aux Japonais et aux Chinois ? « Le Sultan exécutera le traité de Berlin quand il verra les signataires de ce traité se mettre d’accord pour l’y contraindre. » Soit ! mais comment « contraindra-t-on » le Sultan ? « Quand les Russes et les Japonais auront conclu la paix, cette paix pourra parfaitement se transformer en un accord auquel la France, l’Angleterre et d’autres Puissances souscriront ? » Sans doute ! mais celles qui n’y voudront pas souscrire, comment les y obligerons-nous ? On ne voit, malheureusement, de sanction à toutes ces conventions d’arbitrage ou d’ « Union Européenne » que dans un recours à la force ! et, s’il en est ainsi, j’ai dit et je répète qu’il est infiniment dangereux de vouloir faire croire le contraire à l’opinion.

Et, en troisième lieu, j’ai fait observer que nos civilisations modernes étant peut-être plus solidaires qu’on ne le croit de leur organisation militaire, on ne saurait procéder au « désarmement » sans y mettre toute sorte de précautions… Mais je n’ai pas besoin d’y revenir, puisque, tout en faisant d’agréables plaisanteries sur « les chevaux des électeurs de M. Leygues » qui ne sont point, évidemment, les chevaux des électeurs de M. d’Estournelles, M. d’Estournelles m’écrit : « Trouverez-vous un seul de vos lecteurs pour se figurer que l’Union Européenne fera jamais disparaître toute force défensive et que limiter nos dépenses militaires cela veut dire les supprimer totalement ? » Il y a mieux, et c’est ici M. d’Estournelles qui me demande : « Si vous reconnaissez qu’une transition, une longue transition est inévitable, alors où est le danger ? » Vous renversez les rôles, mon cher sénateur. C’est moi qui vous demandais de reconnaître « qu’une longue transition est inévitable, » et du moment que vous le reconnaissez, c’est à moi de vous en donner acte. Mais croyez-vous que cela suffise, et quand vous parlez à vos électeurs de « désarmement » ou de « réduction des armemens » ou de « limitation des dépenses, » croyez-vous que, quoi qu’ils entendent sous ces mots, ils en renvoient la réalisation à deux cent cinquante ans dans l’avenir ?

Il est vrai, qu’après avoir fait ces excellentes déclarations, nos pacifistes les retirent, et je lis, dans la réponse de M. Frédéric Passy, ces lignes qui m’inquiètent : « Faites l’éducation des peuples en les désabusant de l’idolâtrie de la force ; et répandez l’esprit de désarmement. »