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C’est M. Frédéric Passy qui souligne, et je suis bien obligé de lui demander ce que c’est que l’esprit de désarmement ? Car, s’il serait « absurde, » ainsi que le disait M. d’Estournelles, de songer au « désarmement, » et même à la « réduction des armemens, » que signifie cette invitation à répandre « l’esprit de désarmement ? » J’avoue que je ne comprends plus ! Et, par malheur, c’est justement le point sur lequel il faudrait s’entendre.

C’est, en effet, cet « esprit de désarmement » que je crois dangereux de répandre, comme répondant à une conception, généreuse peut-être, mais absolument fausse, de l’histoire et de l’humanité. Que les pacifistes veuillent donc bien ne pas s’y méprendre ! Pas plus qu’eux nous « n’aimons » la guerre ; et pas plus qu’eux nous ne croyons que les « nations » soient faites pour s’entr’égorger. Mais nous croyons, parce que nous le voyons dans l’histoire, que les nations sont des « créations militaires, » et que leur existence, comme telles, — je ne dis pas leur grandeur et leur prospérité, je dis leur existence, — ne se soutient que par les moyens qui les ont constituées. Nous croyons, parce que nous le voyons dans l’histoire, et même dans le présent, que le plus sûr moyen d’éviter la guerre n’est pas d’en avoir peur, mais d’être prêts en tout temps à la faire. Nous croyons que, si cette préparation à la guerre ne va pas sans quelque esprit de dévouement, d’abnégation et de sacrifice, l’esprit de désarmement n’en saurait être que le pire ennemi. Nous croyons, parce nous le voyons dans l’histoire, que cet esprit de dévouement a besoin d’être entretenu, dans la famille et à l’école, au régiment et dans l’opinion ; que, si l’on commet l’imprudence de le laisser sommeiller, on ne le retrouvera plus au jour du danger commun ; et que, par conséquent, d’assurer le triomphe de cet esprit sur son contraire, c’est le principe même, je veux dire le commencement de l’éducation nationale et sociale. Et nous disons aux pacifistes : Si vous croyez tout cela comme nous, vous n’avez pas besoin de tant vous agiter, pour n’aboutir qu’à « faire le jeu » de ceux qui croient le contraire ! Mais, si vous croyez vous-mêmes le contraire, dites-le donc alors sans ambages, et ne donnez pas le change à l’opinion, ou plutôt, ne le prenez pas vous-mêmes, en vous flattant de concilier, je ne sais par le moyen de quelles distinctions, ce qui sera toujours incompatible : l’esprit de patriotisme et l’esprit de désarmement.


F. B.