Il partage d’ailleurs de bonne foi l’admiration dont tout son entourage honore le gendre du comte d’Aranda, et le billet qu’il adresse à Voltaire, à l’instigation de Julie, respire un enthousiasme convaincu : « Mon cher[1] et ancien ami, j’ai une grâce à vous demander, que je souhaite fort que vous ne me refusiez pas… Il y a ici un jeune Espagnol de grande naissance et du plus grand mérite, fils de l’ambassadeur à la cour de France, et gendre du comte d’Aranda, qui a chassé les Jésuites d’Espagne. Vous voyez déjà que ce jeune seigneur est bien apparenté, mais c’est là son moindre mérite. J’ai vu peu d’étrangers de son âge qui aient l’esprit plus juste, plus net, plus cultivé et plus éclairé. Soyez sûr que, tout jeune, tout grand seigneur et tout Espagnol qu’il est, je n’exagère nullement. Il est près de retourner en Espagne, et il est simple que, pensant comme il fait, il désire de vous voir et de causer avec vous… Je puis vous répondre que, quand vous l’aurez vu, vous me remercierez de vous l’avoir fait connaître… Oh ! qu’un jeune étranger comme celui-là fait de honte à nos freluquets welches ! »
La réponse de Voltaire fut telle qu’on peut l’imaginer. L’hommage d’un grand d’Espagne, du gendre d’un premier ministre, n’était pas chose si commune à Ferney, qu’elle ne dût chatouiller l’orgueil du « patriarche. » Le marquis de Mora était donc assuré du plus gracieux accueil, quand, le 26 avril, accompagné du duc de Villa-Hermosa, il s’arracha aux délices de Paris pour prendre la route de Genève. Ses adieux à Julie furent tristes, mais non déchirans : chacun d’eux se savait aimé, chacun gardait par devers soi la promesse d’une absolue fidélité, et la séparation, — chacun d’eux en avait la complète assurance, — serait suivie d’une réunion prochaine, fallût-il pour cela que le jeune colonel fît abandon de sa carrière. Mora paraît, dès ce moment, avoir pris sur ce dernier point des engagemens formels.
Les voyageurs, quarante-huit heures plus tard, débarquèrent à Ferney, porteurs d’une seconde lettre du zélé d’Alembert, plus élogieuse encore que la première : « M. le marquis de Mora[2] veut bien se charger de vous remettre cette lettre, dont il n’aura pas besoin quand vous aurez causé un quart d’heure avec lui. Vous trouverez en lui un esprit, un cœur selon le vôtre, juste, net, sensible, éclairé et cultivé, sans pédanterie et sans