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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/106

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sécheresse. M. le duc de Villa-Hermosa, qui voyage avec le marquis de Mora, désire et mérite de partager avec lui la satisfaction de vous voir. Je vous l’ai dit, mon cher maître, vous me remercierez d’avoir connu ces deux étrangers, vous féliciterez l’Espagne de les posséder, et vous nous souhaiterez des grands seigneurs semblables à ceux-là, au lieu de nos conseillers de Cour, imbéciles et barbares, de nos danseuses et de notre Opéra-Comique… » Je n’ai pas à décrire, après de telles annonces, la réception faite par Voltaire à ces visiteurs distingués. Il se montra tel qu’il était lorsqu’il avait envie de plaire, le plus accueillant des châtelains, le plus charmeur des hommes. Il les retint trois jours, ne les quittant pas d’un instant, prodiguant à pleines mains les trésors de son esprit, passant des questions les plus hautes aux grivoiseries les plus osées, avec une verve étourdissante et une aisance incomparable.

Ils l’écoutaient, émerveillés. Voltaire, de son côté, fut charmé de ses hôtes. Le jour de leur départ, dans sa réponse à d’Alembert, c’est en termes dithyrambiques qu’il crut devoir chanter leurs louanges : « Que l’Être des Êtres[1] répande ses éternelles bénédictions sur son favori d’Aranda, sur son très cher Mora, et sur son bien-aimé Villa-Hermosa ! Un nouveau siècle se forme chez les Ibériens. La douane des pensées n’y ferme plus l’allée à la vérité, ainsi que chez les Welches ; on a coupé les griffes au monstre de l’Inquisition… » Il écrit du même ton à tous ses correspondans habituels, au marquis de Villevieille, à d’Argental, à Dupont, au pasteur Jacob Vernes ; il leur fait part avec emphase de la visite qu’il a reçue, et insiste tout spécialement sur le glorieux avenir réservé, pense-t-il, à Mora : « C’est un jeune homme d’un mérite bien rare. Vous le verrez probablement à son passage, et vous en serez étonné… Je vous prie de faire une brigue pour qu’on l’associe quelque jour au ministère d’Espagne. Je vous réponds qu’il aidera puissamment le comte d’Aranda, son beau-père, à faire un nouveau siècle[2]. »


VI

Sur un point tout au moins, Voltaire se faisait illusion. Mora, dans ce moment, n’avait qu’un médiocre souci de « faire entrer

  1. Lettre du 1er mai 1768. Ibidem.
  2. Lettres du 1er mai à Villevieille et du 6 mai à d’Argental. Ibid.