« Je gage que Mora a quitté le service, car que pouvait-il faire de pis ?… Ce n’est pas la philosophie, bien ou mal entendue, qui lui aura fait faire cette démarche. Ne craignez pas toutefois pour sa fortune ; il la gâtera trente fois, et trente fois il la pourra remonter. » C’est l’abbé Galiani qui réconforte ainsi le duc de Villa-Hermosa. L’amoureux, pour sa part, ne songeait guère à « sa fortune. » Paris obsédait son cerveau ; s’y fixera jamais près de celle qu’il aimait était le but qu’il assignait à sa liberté reconquise. La fin de cette année fut employée par lui à rompre les dernières entraves. Tout était mûr pour son dessein, tous les préparatifs achevés, et le jour pris pour le départ, lorsque survint un contretemps, plus grave et plus dangereux que tous les autres ensemble. Le 25 janvier 1771, il fut atteint d’une crise, telle que jamais encore il n’en avait eu de semblable : violent vomissement de sang, fièvre terrible, évanouissement si long et si profond, qu’on craignit un moment qu’il ne s’éveillât plus.
Quand il sortit de cet accès, ce fut pour entendre un arrêt qui le plongea dans un vrai désespoir. Les médecins déclarèrent qu’il avait « les deux poumons pris, » qu’il n’y avait qu’un seul remède et une seule chance de guérison : c’était de faire un long séjour dans un climat réparateur, doux et vivifiant à la fois. Ils indiquèrent Valence, « une des contrées les plus délicieuses de l’Europe, » où se trouvait alors précisément Jorge Azlor Aragon, le frère cadet de Villa-Hermosa. Dès qu’il put voyager, Mora s’y transporta, avec son médecin Navarro, et deux amis dévoués qui s’offrirent à l’accompagner. Il arriva faible, abattu, et se soutenant à peine. Deux mois plus tard, il semblait transformé, et Jorge Azlor mandait joyeusement à son frère[1] : « Mora est plus gras et a meilleure mine que jamais. Toutefois, comme la douleur aux poumons n’a pas complètement disparu, je suis d’avis que son père lui persuade de ne pas encore partir d’ici. » Le 13 juillet, nouveau bulletin, qui donne une singulière idée des doctrines médicales du temps : « Pour te faire plaisir, je te dirai que Mora va mieux tous les jours ; si bien qu’on pense à lui faire de nouvelles saignées, car la vigueur, surtout si la douleur aux poumons persiste, lui pourrait être préjudiciable… J’insiste pour qu’il demeure ici jusqu’à ce que ses poumons soient tout à fait cicatrisés. »
- ↑ Lettre du 27 mai 1771.